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bonheur, et que toi, tu as gagné si vite et si complètement l’amitié de cet enfant, et lui, la tienne. Mais moi, je suis si loin d’un tel bonheur que je ne sais même pas comment un homme devient l’ami d’un autre, et c’est précisément sur ce point que je veux te questionner, puisque tu sais ce qui en est.

IX. — Dis-moi donc : quand un homme en aime un autre, lequel des deux devient l’ami de l’autre ? Celui qui aime le devient-il de celui qui est aimé, ou celui qui est aimé de celui qui aime ? ou n’y a-t-il aucune différence entre eux ?

— Aucune, il me semble, répondit-il.

— Que dis-tu ? repris-je ; tous deux deviennent amis l’un de l’autre, si l’un des deux seulement aime l’autre ?

— Il me le semble, répondit-il.

— Mais quoi ! n’arrive-t-il pas qu’un homme qui aime ne soit pas payé de retour par celui qu’il aime ?

— Si.

— N’arrive-t-il pas aussi qu’un homme qui aime soit haï ? C’est parfois le cas, ce semble, des amants à l’égard de leur bien-aimé ; ils aiment autant qu’on peut aimer, et ils se figurent qu’on ne les paye pas de retour ou même qu’on les hait. Cela ne te semble-t-il pas vrai ?

— Tout à fait vrai, dit-il.

— Donc, en pareil cas, repris-je, l’un aime et l’autre est aimé ?

— Oui.

— Alors lequel des deux amis est l’ami de l’autre ? est-ce l’amant qui l’est de l’aimé, même s’il n’est pas payé de retour et même s’il est haï, ou l’aimé qui l’est de l’amant ? ou aucun d’eux n’est-il en un tel cas l’ami de l’autre, si tous les deux ne s’aiment pas réciproquement ?

— Ni l’un ni l’autre, semble-t-il.

— Nous en jugeons donc à présent autrement que nous ne l’avons fait tout à l’heure ; car tout à l’heure nous avons dit que, si l’un des deux aimait, ils étaient amis tous les deux ; et à présent, s’ils n’aiment pas tous les deux, nous disons qu’aucun d’eux n’est ami.