— Ici tu peux, à ton gré, rédiger telle lettre la première, telle autre la seconde, et tu as la même liberté pour les lire. Et quand tu prends ta lyre, ni ton père ni ta mère, je pense, ne t’empêchent de tendre ou de relâcher telle corde que tu veux, ni de la pincer avec les doigts ou de la frapper avec le plectre, n’est-ce pas vrai ?
— Si, assurément.
— Quel peut bien être, Lysis, le motif pour lequel ils ne s’opposent pas à ces sortes de choses, et s’opposent à celles dont je parlais tout à l’heure ?
— C’est, je crois, parce que je sais les unes, répondit-il, et que je ne sais pas les autres.
— A merveille, dis-je, excellent jeune homme. Ce n’est donc pas l’âge que ton père attend pour te confier toutes ses affaires ? mais le jour où il te jugera plus habile que lui, ce jour-là il te confiera et sa personne et sa fortune.
— Je le crois, répondit-il.
— Bien, dis-je. Mais dis-moi, ton voisin ne suivra-t-il pas à ton égard la même règle que ton père ? Penses-tu qu’il te confiera sa maison à gouverner, quand il te jugera plus habile que lui dans l’économie domestique, ou qu’il la dirigera lui-même ?
— Je pense qu’il me la confiera.
— Et les Athéniens, penses-tu qu’ils ne te confieront pas leurs affaires, quand ils t’auront reconnu la capacité convenable ?
— Oui, je le pense.
— Prenons, par Zeus, poursuivis-je, le cas du grand Roi. Est-ce à son fils aîné, le futur maître de l’Asie, qu’il confierait le soin d’ajouter ce qu’il voudrait à la sauce des viandes que l’on cuit pour sa table, ou à nous, si, nous rendant à sa cour, nous lui faisions voir que nous sommes plus habiles que son fils dans la préparation des ragoûts ?
— A nous, évidemment, répondit-il.
— Pour son fils, il ne lui laisserait pas mettre le moindre assaisonnement dans les ragoûts ; mais nous, si nous voulions prendre le sel à poignées, il nous laisserait le jeter dedans.