— Je l’ai dit en effet ; mais quelle conclusion en tires-tu ?
— Aucune. Mais dis-moi : crois-tu qu’un médecin qui rend la santé à quelqu’un fasse une chose utile à lui-même et à celui qu’il soigne ?
— Oui.
— Et celui qui fait cela ne fait-il pas son devoir ?
— Si.
— Et celui qui fait son devoir n’est-il pas sage ?
— Il l’est au contraire.
— Or le médecin est-il forcé de savoir quand ses remèdes sont utiles et quand ils ne le sont pas ? et de même chaque artisan, s’il tirera ou non profit du travail qu’il exécute ?
— Il est possible que non.
— Il arrive donc, repris-je, que le médecin qui a opéré une cure, soit utile, soit nuisible, ne sache pas ce qu’il a fait. Cependant, selon toi, s’il agit utilement, il agit avec sagesse. N’est-ce pas ce que tu disais ?
— Si.
— Il arrive donc, comme tu vois, qu’agissant utilement, il agisse avec sagesse et qu’il soit sage, mais qu’il ne sache pas qu’il est sage.
XII. — Cela, Socrate, me dit-il, c’est impossible. Mais si tu crois que mes déclarations précédentes conduisent nécessairement à cette conclusion, je préférerais en rétracter une partie, sans rougir d’avouer que je me suis mal exprimé, plutôt que d’accorder qu’on puisse être sage, si l’on ne se connaît pas. J’irais même jusqu’à dire que c’est précisément à se connaître soi-même que consiste la sagesse, d’accord en cela avec l’auteur de l’inscription de Delphes. Je m’imagine que cette inscription a été placée au fronton comme un salut du dieu aux arrivants, au lieu du salut ordinaire « réjouis-toi », comme si cette dernière formule n’était pas bonne et qu’on dût s’exhorter les uns les autres, non pas à se réjouir, mais à être sages. C’est ainsi que le dieu s’adresse à ceux qui entrent dans son temple, en des termes différents de ceux des hommes,