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et le manger, la veille et la fatigue, sa continence invincible, enfin toute l’originalité de cet être d’exception que fut Socrate. Le portrait qu’Alcibiade fait de lui est d’ailleurs incomplet. Il faut en chercher les traits qui manquent dans tous les dialogues où Socrate est présent. Sous sa figure de Silène on verra l’être extraordinaire qui entend la voix d’un dieu et qui a reçu de lui la mission de conduire ses concitoyens à la vérité et à la vertu. Il est un de ceux que le ciel a favorisés de la θεία μοῖρα, le lot divin, qui élève certains hommes au-dessus de l’humanité. Sa vie et sa mort sont un exemple mémorable de ce que peut faire la vertu unie au génie.


LE STYLE


Par le fait même que Platon est un poète dramatique, il fait parler à chacun le langage qui lui convient. Quand il met en scène des personnages réels, comme les sophistes, comme Lysias, Agathon, Aristophane, il reproduit non seulement leurs idées, mais leur style avec une telle fidélité que ses pastiches donnent l’illusion du modèle.

Quand il est lui-même, son style est exactement approprié à la dialectique de ses dialogues. C’est dire qu’il se maintient constamment dans le ton de la conversation. L’art de Platon consiste ici à se cacher pour donner au discours l’apparence d’une improvisation. C’est un art tout contraire à celui d’Isocrate, qui balance des périodes soigneusement étudiées ou d’un Démosthène qui ramasse ses phrases pour les asséner sur l’adversaire comme des coups de bélier. Le style de Platon ne sent ni l’étude, ni le travail ; il n’a jamais rien d’affecté ni de tendu. La phrase suit simplement la marche de la pensée. Si un nouveau détail se présente à l’esprit, il s’ajoute et s’ajuste comme de lui-même à ceux qui le précèdent et la phrase s’allonge naturellement, sans que jamais elle paraisse ni surchargée ni lâchée. C’est le style de la conversation avec ses négligences, ses anacoluthes, ses jeux de mots même, mais de la conversation d’hommes supé-