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et déblayer le terrain, se réservant de l’explorer à fond dans un autre ouvrage. C’est ainsi que le Ménon continue et achève le Protagoras et que le Théétète trouve sa conclusion dans le Timée.


LES CARACTÈRES


Ce qui distingue particulièrement les dialogues de Platon de ceux que son exemple a suscités, c’est la vie qu’il a su donner aux personnages qu’il met en scène. Dans les dialogues de ses imitateurs, hormis peut-être ceux de Lucien, les interlocuteurs ne se distinguent les uns des autres que par les thèses opposées qu’ils sont chargés de soutenir : on ne voit rien de leur figure réelle. Chez Platon, au contraire, il n’est pas de personnage, si mince que soit son rôle, qui n’ait son visage à lui. Les plus remarquables à ce point de vue sont les sophistes, notamment Protagoras, Gorgias, Hippias, Prodicos. Ils revivent dans le portrait qu’en a tracé Platon avec leur figure, leur allure, leur voix, leurs gestes, leurs tics mêmes. On les revoit avec leur vanité, leur jactance, leur subtilité, et aussi avec leur talent ; qui est réel et que Platon ne rabaisse pas. L’imitation est si parfaite qu’on a pu prendre le discours que Platon prête à Lysias pour le discours authentique de cet orateur. Et, sauf en quelques ouvrages de jeunesse, comme l’Ion ou l’Hippias majeur, il n’exagère pas et ne pousse pas le portrait jusqu’à la charge. Il fait rire à leurs dépens par le simple contraste qui paraît entre l’opinion qu’ils ont d’eux-mêmes et celle qu’ils donnent au public. C’est de la meilleure comédie, celle où les personnages se traduisent en ridicule sans qu’ils s’en doutent.

Aux sophistes avides de briller s’oppose le groupe des beaux éphèbes ingénus, et modestes. Ce sont des fils de famille avides de s’instruire, qui s’attachent à Socrate pour profiter de ses leçons, qui rougissent à ses questions et y répondent avec une déférence pleine de