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science sans grande importance, à quoi bon s’en occuper ?

Voici sur quelles considérations je fonde mon jugement. Je me dis que, si elle avait quelque valeur, elle n’aurait pas échappé aux Lacédémoniens, qui n’ont pas d’autre soin dans la vie que de rechercher et de mettre en pratique les connaissances et les exercices qui peuvent leur assurer la supériorité à la guerre. À supposer même qu’elle leur eût échappé, il y a une chose qui n’échapperait pas aux maîtres de cette science, c’est que les Lacédémoniens s’intéressent plus que tout autre peuple grec à ces sortes de choses et qu’un maître estimé chez eux dans cet art se ferait beaucoup d’argent chez les autres, comme il arrive aux poètes tragiques estimés chez nous. Et en effet quiconque se croit capable de faire de bonnes tragédies ne court pas au-dehors, tout autour de l’Attique, pour exhiber ses pièces de ville en ville ; il les apporte droit ici et les fait jouer devant nous, en quoi il a raison. Au contraire, je vois ces fameux maîtres d’armes considérer Lacédémone comme un sanctuaire inaccessible, où ils ne mettent pas même la pointe du pied, tandis qu’ils circulent autour d’elle et montrent leur talent partout plutôt qu’à Sparte, et spécialement chez ceux qui s’avouent eux-mêmes inférieurs à beaucoup d’autres en ce qui concerne la guerre.

VII. — Ensuite, Lysimaque, j’ai vu à l’œuvre bon nombre de ces gens-là et je sais ce qu’ils valent. Une simple réflexion suffit pour nous le faire voir : comme par un fait exprès, jamais aucun de ces hommes qui ont pratiqué le maniement des armes ne s’est illustré à la guerre. Cependant, dans tous les autres arts, ceux qui se font un nom sont parmi ceux qui les ont pratiqués ; ceux-ci, au rebours des autres, semblent jouer de malheur en leur métier. Ce Stésilaos, par exemple, que vous avez vu avec moi parader devant une si grande foule et parler si magnifiquement de lui-même, je l’ai vu ailleurs sous un jour plus vrai, dans une représentation réelle, qu’il donna contre sa volonté.