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resté deux jours de plus sur leurs yeux, ç’en était fait de la liberté ; le tyran était absous, les patriotes égorgés, le fer même des défenseurs de la patrie égarés se serait combiné avec celui des assassins royaux ; Paris était en proie à toutes les horreurs, et la Convention nationale, escortée des satellites qu’ils avaient rassemblés, fuyait au milieu de la confusion et de la consternation universelle.

Mais, ô force toute puissante de la vérité et de la vertu ! Ces généreux citoyens ont abjuré leurs erreurs ; ils ont reconnu, avec une sainte indignation, les trames perfides de ceux qui les avaient trompés ; ils les ont voué au mépris public, ils ont serré dans leurs bras les parisiens calomniés ; réunis tous aux Jacobins, ils ont juré, avec le peuple, une haine éternelle aux tyrans, et un dévouement sans bornes à la liberté. Ils ont cimenté cette sainte alliance sur la place du Carrousel, par des fêtes civiques, où assistèrent tous les magistrats de cette grande cité, avec un peuple généreux que l’enthousiasme du patriotisme élevait au-dessus de lui-même[1]. Quel spectacle ! comme il console des noirceurs, de la perfidie et des cries de l’ambition ! Ce grand événement fit pencher la balance dans la Convention nationale, en faveur des défenseurs de la liberté ; il déconcerta les intrigans et enchaîna les factieux. Lepelletier seul fut la victime de son courage à défendre la cause de la liberté, quoique plusieurs patriotes aient été poursuivis par les assassins. Heureux martyr de la liberté, tu ne verras pas les maux que nos ennemis communs ont préparé à la patrie !

Au reste, quelques efforts qu’ils aient fait pour sauver Louis XVI, je ne crois pas que ce soit lui qu’ils voulussent placer sur le trône ; mais il fallait lui conserver la vie pour sauver l’honneur de la royauté qu’on voulait rétablir, pour remplir un des articles du traité fait avec Londres, et la promesse donnée à Pitt, comme le prouvent les discours de ce ministre du parlement d’Angleterre[2]. Il fallait surtout allumer la guerre civile par l’appel au peuple, afin que les ennemis qui devaient bientôt nous attaquer, nous trouvassent occupés à nous battre pour la querelle du roi détrôné.

La punition éclatante de ce tyran, la seule victoire que les républicains aient remportée à la Convention nationale, n’a fait que reculer le moment où la conspiration devait éclater ; les députés patriotes désunis, isolés, sans politique et sans plan, se sont rendormis dans une fausse sécurité, et les ennemis de la patrie ont continué de veiller pour la perdre.

  1. Allusion à la fête civique du 16 janv. 1793, au Carrousel, fête au cours de laquelle les Marseillais et autres fédérés, appelés par les Girondins contre Paris, fraternisèrent avec le peuple.
  2. Sur le discours de Pitt aux Communes, et l’espoir qu’il avait de sauver Louis XVI, voir iLettres… à ses oommettans, 2e série, n° 6, p. 287.