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la vie de mon semblable n’est point un trafic, c’est un brigandage et un fratricide.

D’après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances ? le voici : assurer à tous les membres de la société la jouissance de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence ; aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce.[1]

Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu’il entend par ce mot le droit de dépouiller et d’assassiner ses semblables. Comment donc a-t-on pu prétendre que toute espèce de gêne, ou plutôt que toute règle sur la vente du blé était une atteinte à la propriété, et déguiser ce système barbare sous le nom spécieux de la liberté du commerce ? Les auteurs de ce système ne s’aperçoivent-ils pas qu’ils sont nécessairement en contradiction avec eux-mêmes ? [2]

Pourquoi êtes-vous forcés d’approuver la prohibition de l’exportation des grains à l’étranger toutes les fois que l’abondance n’est point assurée dans l’intérieur ? Vous fixez vous-même le prix du pain, fixez— vous celui des épices, ou des brillantes productions de l’Inde ? Quelle est la cause de toutes ces exceptions, si ce n’est l’évidence même des principes que je viens de développer ? Que dis-je ? Le gouvernement assujettit quelquefois le commerce même des objets de luxe à des modifications que la saine politique avoue[3] ; pourquoi celui qui intéresse la subsistance du peuple en seroit-il nécessairement affranchi ?

Sans doute si tous les hommes étaient justes et vertueux ; si jamais la cupidité n’était tentée de dévorer la substance du peuple ; si dociles à la voix de la raison et de la nature, tous les riches se regardaient comme les économes de la société, ou comme les frères du pauvre, on pourrait ne reconnaître d’autre loi que la liberté la plus illimitée ; mais s’il est vrai que l’avarice peut spéculer sur la misère, et la tyrannie elle-même sur le désespoir du peuple ; s’il est vrai que toutes les passions déclarent la guerre à l’humanité souffrante, pourquoi les lois ne réprimeraient-elle pas ces abus ? Pourquoi n’arrêteraient-elles pas la main homicide du monopoleur, comme celle de l’assassin ordinaire ? pourquoi ne s’occuperaient-elles pas de

  1. Cf. ci-après, séance du 24 avril 1793, 1re intervention : Sur le droit de propriété.
  2. A la séance du 29 nov., Faye (de la Haute-Vienne) et Dufriche-Vialazé avaient demandé, comme Saint-Just, la libre circulation des grains, que combattit Lequinio.
  3. Le café, par exemple, était frappé, à la fin de l’Ancien régime, de droits élevés à son entrée en France.