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Les discours de Robespierre

le monde en s’entr’égorgeant eux-mêmes, et, s’ils échappaient à la justice des hommes ou à leur propre fureur, échapperaient-ils à la justice éternelle qu’ils ont outragée par le plus horrible de tous les forfaits ?

Pour moi, dont l’existence paraît aux ennemis de mon pays un obstacle à leurs projets odieux, je consens volontiers à leur en faire le sacrifice, si leur affreux empire doit durer encore. Eh ! qui pourrait désirer de voir plus longtemps cette horrible succession de traîtres plus ou moins habiles à cacher leur âme hideuse sous un masque de vertu jusqu’au moment où leur crime paraît mûr, qui tous laisseront à la postérité l’embarras de décider lequel des ennemis de ma patrie fut le plus lâche et le plus atroce ?[1]

Si l’on proposait ici de prononcer une amnistie en faveur des députés perfides, et de mettre les crimes de tout représentant sous la sauvegarde d’un décret, la rougeur couvrirait le front de chacun de nous ; mais laisser sur la tête des représentants fidèles le devoir de dénoncer les crimes, et cependant d’un autre côté les livrer à la rage d’une ligue insolente, s’ils osent le remplir, n’est-ce pas un désordre encore plus révoltant ? C’est plus que protéger le crime, c’est lui immoler la vertu ! En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j’ai tremblé quelquefois d’être souillé aux yeux de la postérité par le voisinage impur de ces hommes pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l’humanité ; mais la défaite des factions rivales a comme émancipé tous les vices ; ils ont cru qu’il ne s’agissait plus pour eux que de partager la patrie comme un butin, au lieu de la rendre libre et prospère ; et je les remercie de ce que la fureur dont ils sont animés contre tout ce qui s’oppose à leurs projets a tracé la ligne de démarcation entre eux et tous les gens de bien. Mais si les Verres et les Catilina de la France se croient déjà assez avancés dans la carrière du crime pour exposer sur la tribune aux harangues la tête de leur accusateur, j’ai promis aussi naguère de laisser à mes concitoyens un testament redoutable aux oppresseurs du peuple, et je leur lègue dès ce moment l’opprobre et la mort ! Je conçois qu’il est facile à la ligue des tyrans du monde d’accabler un seul homme ; mais je sais aussi quels sont les devoirs d’un homme qui peut mourir en défendant la cause du genre humain. J’ai vu dans l’histoire tous les défenseurs de la liberté accablés par la fortune ou par la calomnie ; mais bientôt après leurs oppresseurs et leurs assassins sont morts aussi ; les bons et les méchants, les tyrans et les amis de la liberté disparaissent de la terre, mais à des conditions différentes. Français, ne souffrez pas que vos ennemis cherchent à abaisser vos âmes et à énerver vos vertus par une funeste doctrine !

  1. Sorb. : Tout cet alinéa a été supprimé.