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Les discours de Robespierre

déraciner le système de corruption et de désordre qu’elles avaient établi, et que je regarde comme le seul obstacle à l’affermissement de la République ; j’ai pensé qu’elle ne pouvait s’asseoir que sur les bases éternelles de la morale. Tout s’est ligué contre moi et contre ceux qui avaient les mêmes principes. Après avoir vaincu les dédains et les contradictions de plusieurs, je vous ai proposé les grands principes gravés dans vos cœurs, et qui ont foudroyé les complots des athées contre-révolutionnaires. Vous les avez consacrés ; mais c’est le sort des principes d’être proclamés par les gens de bien, et appliqués ou contrariés par les méchants. La veille même de la fête de l’Etre suprême, on voulait la faire reculer sous un prétexte frivole ; depuis on n’a cessé de jeter du ridicule sur tout ce qui tient à ces idées ; depuis on n’a cessé de favoriser tout ce qui pouvait réveiller la doctrine des conjurés que vous avez punis. Tout récemment on vient de faire disparaître les traces de tous les monuments qui ont consacré de grandes époques de la Révolution. Ceux qui rappelaient la révolution morale qui vous vengeait de la calomnie et qui fondait la République sont les seuls qui aient été détruits[1]. Je n’ai vu chez plusieurs aucun penchant à suivre des principes fixes, à tenir la route de la justice tracée entre les deux écueils que les ennemis de la patrie ont placés sur notre carrière. S’il faut que je dissimule ces vérités, qu’on m’apporte la ciguë ! Ma raison, non mon cœur, est sur le point de douter de cette République vertueuse dont je m’étais tracé le plan.

J’ai cru deviner le véritable but de cette bizarre imputation de dictature ; je me suis rappelé que Brissot et Roland en avaient déjà rempli l’Europe dans le temps où ils exerçaient une puissance presque sans bornes. Dans quelles mains sont aujourd’hui les armées, les finances et l’administration intérieure de la République ? Dans celles de la coalition qui me poursuit. Tous les amis des principes sont sans influence[2] ; mais ce n’est pas assez pour eux d’avoir éloigné par le désespoir du bien un surveillant incommode ; son existence seule est pour eux un objet d’épouvante, et ils avaient médité dans les ténèbres, à l’insu de leurs collègues, le projet de lui arracher le droit de défendre le peuple avec la vie. Oh ! Je la leur abandonnerai sans regret ! J’ai l’expérience du passé, et je vois l’avenir. Quel ami de la patrie peut vouloir survivre au moment où il n’est plus permis de la servir et de défendre l’innocence opprimée ? Pourquoi demeurer dans un ordre de choses où l’intrigue triomphe éternellement de la vérité, où la justice est un mensonge, où les plus viles passions, où les craintes les plus ridicules occupent dans les cœurs la place des intérêts sacrés de l’humanité ? Comment supporter le supplice de

  1. Sorb. : « … ont été les premiers détruits ».
  2. Lignes raturées : « S’il existe dans le monde mie espèce de tyrannie, n’est-ce pas celle dont je suis la victime ? » (Note orig.)