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Les discours de Robespierre

ignominie ; je conçois que le fils de Georges, par exemple, puisse avoir regret à ce sceptre français qu’on le soupçonne violemment d’avoir convoité, et je plains sincèrement ce moderne Tantale. J’avouerai même à la honte, non de ma patrie, mais des traitres qu’elle a punis, que j’ai vu d’indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce titre glorieux pour celui de valet de chambre de Georges ou de d’Orléans. Mais qu’un représentant du peuple qui sent la dignité de ce caractère sacré, qu’un citoyen français digne de ce nom puisse abaisser ses vœux jusqu’aux grandeurs coupables et ridicules qu’il a contribué à foudroyer, qu’il se soumette à la dégradation civique pour descendre à l’infamie du trône, c’est ce qui ne paraîtra vraisemblable qu’à ces êtres pervers qui n’ont pas même le droit de croire à la vertu ! Que dis-je, vertu ! C’est une passion naturelle, sans doute ; mais comment la connaîtraient-elles, ces âmes vénales qui ne s’ouvrirent jamais qu’à des passions lâches et féroces ; ces misérables intrigants qui ne lièrent jamais le patriotisme à aucune idée morale, qui marchèrent dans la Révolution à la suite de quelque personnage important et ambitieux, de je ne sais quel prince méprisé, comme jadis nos laquais sur les pas de leurs maîtres ? Mais elle existe, je vous en atteste, âmes sensibles et pures ; elle existe, cette passion tendre, impérieuse et irrésistible, tourment et délice des cœurs magnanimes ; cette horreur profonde de la tyrannie, ce zèle compatissant pour les opprimés, cet amour sacré de la patrie, cet amour plus sublime et plus saint de l’humanité, sans lequel une grande révolution n’est qu’un crime éclatant qui détruit un autre crime ; elle existe, cette ambition généreuse de fonder sur la terre la première République du monde. Cet égoïsme des hommes non dégradés, qui trouve une volupté céleste dans le calme d’une conscience pure et dans le spectacle ravissant du bonheur public, vous le sentez en ce moment qui brûle dans vos âmes ; je le sens dans la mienne. Mais comment nos vils calomniateurs la devineraient-ils ? Comment l’aveugle-né aurait-il l’idée de la lumière ? La nature leur a refusé une âme ; ils ont quelque droit de douter, non seulement de l’immortalité de l’âme, mais de son existence[1].

Ils m’appellent tyran… Si je l’étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d’or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants. Si je l’étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté !) me prêteraient leur coupable appui ; je transigerais avec eux. Dans leur détresse, qu’attendent-ils, si ce n’est le secours d’une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire

  1. Lignes raturées : « Quant à l’existence de la Divinité, ils en fournissent eux-mêmes un argument irrésistible : ce sont leurs propres crimes. » (Note orig.)