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LES DISCOURS DE ROBESPIERRE

réprimer[1]. Je vais défendre devant vous votre autorité outragée, et la liberté violée. Si je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l'objet, vous ne m'en ferez point un crime ; vous n’avez rien de commun avec les tyrans que vous combattez[2]. Les cris de l’innocence outragée n’importunent point votre oreille, et vous n’ignorez pas que cette cause ne vous est point étrangère.

Les révolutions qui jusqu’à nous ont changé la face des empires n’ont eu pour objet qu’un changement de dynastie, ou le passage du pouvoir d’un seul à celui de plusieurs[3]. La Révolution française est la première qui ait été fondée sur la théorie des droits de l’humanité, et sur les principes de la justice[4]. Les autres révolutions n’exigeaient que de l’ambition ; la nôtre impose des vertus. L’ignorance et la force

  1. Manque dans l’imprimé, mais relevé dans le manuscrit par Hamel.
  2. Au lieu de : «Je me défendrai aussi moi-même ; vous n’en serez point surpris ; vous ne ressemblez point aux tyrans que vous combattez» (Ms., cité par Hamel).
  3. Deux lignes effacées : « Elles ont pris leur source ou dans l’ambition ou dans la lassitude d’une espèce particulière de tyrannie.» (Note orig.)
  4. Suivent deux pages effacées : «Si des ambitions particulières lui ont donné le branle ou hâté son mouvement, elle n’a dû son origine et sa direction qu’à l’amour éclairé et profond de la justice et de la liberté ; ce caractère a déterminé à la fois ses moyens et les attaques de ses ennemis. Pour atteindre le but des autres, il ne fallait que courir à la fortune sous les auspices d’une puissance nouvelle ; la nôtre, au contraire, exige le sacrifice des intérêts privés à l’intérêt général ; elle seule impose la vertu. Les autres étaient terminées par le triomphe d’une faction ; la nôtre ne peut l’être que par la victoire de la justice sur toutes les factions ; émanée de la justice, elle ne peut se reposer que dans son sein ; elle a pour ennemis tous les vices. Les factions sont la coalition des intérêts privés contre le bien général. Le concert des amis de la liberté, les plaintes des opprimés, l’ascendant naturel de la raison, la force de l’opinion publique ne constituent point une faction : ce n’est que le rappel du pouvoir aux principes de la liberté, et les effets naturels du développement de l’esprit public chez un peuple éclairé. Ailleurs, l’ignorance et la force ont absorbé les révolutions dans un despotisme nouveau : la nôtre émane de la justice, ne peut se reposer que dans son sein. Tous les efforts des intérêts privés contre le droit du peuple ne peuvent qu’agiter la nation entre deux écueils, les abus de l’ancienne tyrannie, et les systèmes monstrueux qui dénaturaient l’égalité même pour ramener sous son nom la tyrannie. La cause de tous nos maux a été dans cette lutte perpétuelle des factions contre l’intérêt public. Celle d’Autriche et celle d’Orléans, toutes deux puissantes, l’une, parce qu’elle régnait au commencement de la Révolution ; l’autre, parce qu’elle avait puissamment contribué à la préparer pour régner à son tour, ont arrêté jusqu’ici les destinées de la République. Ajoutez à cela les intrigues de l’Angleterre, coalisée avec la faction d’Orléans, et l’influence des cours étrangères, et vous vous ferez quelque idée des germes de discorde, de corruption et de dissolution que les ennemis de la liberté ont jetés au milieu de nous. La faction d’Orléans surtout avait acquis une influence d’autant plus grande qu’elle avait arboré la première l’étendard du patriotisme pour renverser la cour, et que ses partisans, cachés sous ce masque, avaient usurpé la confiance des patriotes, et s’étaient introduits dans toutes les fonctions publiques.» (Note orig.)