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s’entendent assez bien (1). Le fanatique couvert de scapulaires, et le fanatique qui prêche l’athéisme, ont entr’eux beaucoup de rapports. Les barons démocrates sont les frères des marquis de Coblentz ; et quelquefois les bonnets rouges sont plus voisins des talons rouges qu’on ne pourroit le penser.

Mais c’est ici que le gouvernement a besoin d’une extrême circonspection, car tous les ennemis de la liberté veillent pour tourner contre lui, non-seulement ses fautes, mais même ses mesures les plus sages. Frappe-t-il sur ce qu’on appelle exagération ? Ils cherchent à relever le modérantisme et l’aristocratie. S’il poursuit ces deux monstres, ils poussent de tout leur pouvoir à l’exagération. Il est dangereux de leur laisser les moyens d’égarer le zèle des bons citoyens ; il est plus dangereux encore de décourager et de persécuter les bons citoyens qu’ils ont trompés. Par l’un de ces abus, la république risqueroit d’expirer dans un mouvement convulsif ; par l’autre, elle périroit infailliblement de langueur.

Que faut-il donc faire ? Poursuivre les inventeurs coupables des systèmes perfides, protéger le patriotisme, même dans ses erreurs ; éclairer les patriotes, et élever sans cesse le peuple à la hauteur de ses droits et de ses destinées.

Si vous n’adoptez cette règle, vous perdez tout. S’il falloit choisir entre un excès de ferveur patriotique et le néant de l’incivisme, ou le marasme du modérantisme, il n’y auroit pas à balancer. Un corps vigoureux, tourmenté par une surabondance de sève, laisse plus de ressources qu’un cadavre. Gardons-nous sur-tout de tuer le patriotisme, en voulant le guérir. Le patriotisme est ardent par sa nature. Qui peut aimer froidement la patrie ? Il est particulièrement le partage des hommes simples, peu capables de calculer les conséquences politiques d’une démarche civique par son motif. Quel est le patriote, même éclairé, qui ne se soit jamais trompé ? Eh ! si l’on admet qu’il existe des modérés et des lâches de bonne foi, pourquoi n’existeroit-il pas des patriotes de bonne-foi, qu’un sentiment louable emporte quelque-fois trop loin ? Si donc on regardoit comme criminels tous ceux qui, dans le mouvement révolutionnaire, auroient dépassé la ligne exacte tracée par la prudence, on envelopperoit dans une proscription commune, avec les mauvais citoyens, tous les amis naturels de la liberté, vos propres amis et tous les appuis de la république. Les émissaires adroits de la tyrannie, après les avoir trompés, deviendroient eux-mêmes leurs accusateurs et peut-être leurs juges.

Qui donc démêlera toutes ces nuances ? qui tracera la ligne de démarcation entre tous les excès contraires ? L’amour de la patrie et de (1) Allusion à Anacharsis Cloots.