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SÉANCE DU 27 BRUMAIRE AN II


& vous hâterez (cc) votre ruine. J’en atteste vos revers ; j'en atteste sur-tout vos succès. Un port & deux ou trois forteresses achetées par votre or ; voilà donc le digne prix des efforts de tant de rois, aidés pendant cinq années par les chefs de nos armées & par notre gouvernement même ! Apprenez qu’un peuple que vous n’avez pu vaincre avec de tels moyens, est un peuple invincible. Despotes généreux, sensibles tyrans : vous ne prodiguez, dites-vous, tant d’hommes & de trésors, que pour rendre à la France le bonheur et la paix ?

Vous avez si bien réussi à faire le bonheur de vos sujets, que vos âmes royales n’ont plus maintenant à s’occuper que du nôtre. Prenez garde, tout change dans l’univers : les rois ont assez long-temps châtié les peuples ; les peuples, à leur tour, pourroient bien aussi châtier les rois.

Pour mieux assurer notre bonheur, vous voulez, dit-on, nous affamer & vous avez entrepris le blocus de la France avec une centaine de vaisseaux : heureusement la nature est moins cruelle pour nous, que les tyrans qui l’outragent. Le blocus de la France pourroit bien n’être pas plus heureux que celui de Maubeuge & de Dunkerque. Au reste, un grand peuple qu’on ose menacer de la famine, est un ennemi terrible ; quand il lui reste du fer, il ne reçoit point de ses oppresseurs du pain & des chaînes ; il leur donne la mort[1].

Et vous, Représentans de ce peuple magnanime ; vous qui (dd) êtes appelés à fonder, au sein de tous les orages, la première République du monde, songez que, dans quelques mois, elle doit être sauvée & affermie par vous.

Vos ennemis savent bien que s’ils pouvoient désormais vous perdre, ce ne seroit que par vous-mêmes. Faites, en tout, le contraire de ce qu’ils veulent que vous fassiez. Suivez toujours un plan invariable de gouvernement fondé sur les principes d’une sage et vigoureuse politique.

Vos ennemis voudroient donner à la cause sublime que vous défendez, un air de légèreté & de folie ; soutenez-la avec toute la dignité de la raison. On veut vous diviser ; restez toujours unis. On veut réveiller au milieu de vous l’orgueil, la jalousie, la défiance : ordonnez à toutes les petites passions de se taire (ee). Le plus beau de tous les titres est celui que vous portez tous. Nous serons tous assez grands, quand tous nous aurons sauvé la Patrie. On veut annuller & avilir le gouvernement républicain dans sa naissance ; donnez-lui l’activité, le ressort & la considération dont il a besoin. Ils veulent que le vaisseau de la République flotte au gré des tempêtes, sans pilote & sans but ; saisissez

  1. « Ici l’enthousiasme s’empare de toute l’Assemblée et des tribunes. Tout le monde est debout, balance des chapeaux en l’air et fait retentir la salle des cris de Vive la République ! La mort des tyrans ! » (Journal de Perlet, n° 422, p. 389 ; Mercure universel, XXXIII, 266).