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SÉANCE DU 27 BRUMAIRE AN II

possessions, maître de la mer et de la France, le gouvernement anglais auroit bientôt forcé l’Amérique à rentrer sous la domination de George. Il est à remarquer que ce cabinet a conduit de front, en France et dans les États-Unis, deux intrigues parallèles qui tendoient au même but. Tandis qu’il cherchoit à séparer le Midi de la France du Nord, il conspiroit pour détacher les provinces septentrionales de l’Amérique des provinces méridionales ; et comme on s’efforce encore aujourd’hui de fédéraliser notre République, on travaille à Philadelphie à rompre les liens de la confédération qui unissent les différentes portions de la République américaine.

Ce plan étoit hardi. Mais le génie consiste moins à former des plans hardis qu’à calculer les moyens qu’on a de les exécuter. L’homme le moins propre à deviner le caractère et les ressources d’un grand peuple est peut être celui qui est habile dans l’art de corrompre un parlement. Qui peut moins apprécier les prodiges qu’enfante l’amour de la liberté que l’homme vil dont le métier est de mettre en jeu tous les vices des esclaves ? Semblable à un enfant dont la main débile est blessée par une arme terrible qu’elle a l’imprudence de toucher, Pitt voulut jouer avec le peuple français, et il en a été foudroyé.

Pitt s’est grossièrement trompé sur notre Révolution, comme Louis XVI et les aristocrates français, abusés par leur mépris pour le peuple ; mépris fondé uniquement sur la conscience de leur propre bassesse. Trop immoral pour croire aux vertus républicaines, trop peu philosophe pour faire un pas vers l’avenir, le ministre de George étoit au dessous de (a) son siècle ; le siècle s’élançoit vers la liberté, et Pitt vouloit le faire rétrograder vers la barbarie et vers le despotisme. Aussi l’ensemble des évènemens a trahi jusqu’ici ses rêves ambitieux ; il a vu briser tout-à-tour, par la force populaire, les divers instrumens dont il s’est servi ; il a vu disparoître Necker, d’Orléans, Lafayette, Lameth, Dumouriez, Custine, Brissot, et tous les pygmées de la Gironde. Le peuple français s’est dégagé jusqu’ici des fils de ses intrigues, comme Hercule d’une toile d’araignée.

Voyez comme chaque crise de notre Révolution l’entraîne toujours au delà du point où il vouloit l’arrêter ; voyez avec quels pénibles efforts il cherche à faire reculer la raison publique et à entraver la marche de la liberté ; voyez ensuite quels crimes prodigués pour la détruire (b). A la fin de 1791, il croyoit préparer insensiblement la chute du roi Capet, en conservant le trône pour le fils de son maître ; mais le 10 août a lui, et la République est fondée. C’est en vain que, pour l’étouffer dans son berceau, la faction girondine et tous les lâches émissaires des tyrans étrangers appellent de toutes parts les serpens de la calomnie, le démon de la guerre civile, l’hydre du fédéralisme, le monstre de l’aristocratie : le 31 mai, le peuple s’éveille, et les traîtres ne sont plus (c). La Convention se montre aussi juste que le peuple, aussi grande que sa mission. Un nouveau pacte social est proclamé.