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un coup, ce n’est point là le préjugé dont il est ici question. Ce discours n’a pour objet que cette opinion meurtrière, particulière à certains peuples, qui couvrant d’un opprobre éternel les parens d’un coupable que les Loix ont puni, les rendent à jamais des objets de mépris et d’horreur pour le reste de la Société : voilà l’abus qu’il faut anéantir.

En le frappant ne craignons pas de détruire en même tems cette opinion primitive et modérée qui distribue avec équité le blâme et la honte aux familles des coupables. Elle survivra toujours à la ruine de notre préjugé : c’est à elle que tous nos efforts nous ramèneront naturellement, sans qu’il soit besoin de nous en occuper ; il ne seroit pas même en notre pouvoir de l’étouffer, elle tient à la nature même des choses. Jamais dans aucune Société les grandes actions ou les crimes d’un particulier, ne seront absolument indifférentes à la gloire de sa famille. Mais si cette vaine terreur nous engageoit à user de ménagemens envers le préjugé, nous ne ferions contre lui que d’impuissantes tentatives ; si nous craignons de passer le but, nous le manquons. Les précautions que nous prendrions pour conserver une partie du préjugé, ne feroient que l’affermir davantage.

Quoi ! lorsque nous avons besoin de faire les plus grands efforts pour déraciner une opinion terrible, fortifiée par le tems, cimentée par l’habitude, entretenue par les causes les plus puissantes, la crainte d’obtenir un succès trop complet est-elle donc le soin qui nous doive inquiéter ? Non, ne songeons point à modérer l’usage de nos forces, quand nous ne saurions les déployer toutes avec trop de courage. Bannissons tous ces vains scrupules, dégageons-nous de toutes ces entraves, et marchons d’un pas ferme à la ruine du préjugé.

Mais ici une réflexion m’arrête. Ne nous flattons-nous point d’une vaine espérance ? Est-il vraiment quelque moyen de guérir les hommes d’un mal si invétéré ? L’abus que nous attaquons n’est-il pas destiné à triompher éternellement de tous les efforts de la raison ? Ainsi parle le vulgaire, mais l’homme qui pense, rejette ce funeste présage.