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tines, ayant pour juges leurs adversaires mêmes, sont privés de tous les secours que les formes ordinaires de la Justice présentent à l’innocence pour confondre la calomnie.

Mais ces inconvéniens et tant d’autres nous paroissent encore préférables à tous les malheurs qui suivent le plus odieux des préjugés. Contre un mal si redouté, il n’est point de remède si violent que nous ne puissions employer sans effroi.

Cependant que faut-il penser d’un fléau qui a pu nous familiariser avec une pareille ressource et qui seul, perpétue encore parmi nous un usage si pernicieux en lui-même.

Oui, sans lui les Lettres de cachet seroient ignorées parmi nous, et nous verrions bientôt ce nom effacé de notre langue. La tranquillité publique et la puissance royale établies désormais sur des fondemens inébranlables, ne nous permettent pas même de prévoir aucun de ces événemens funestes qui peuvent forcer le Gouvernement à employer ces ressorts extraordinaires et violens. L’auguste bonté de nos Souverains, qui se fait une loi d’en restreindre l’usage avec tant de sévérité, s’empresseroit de l’abolir entièrement ; mais aussi long-tems que nous conserverons l’habitude d’envelopper l’innocence dans la proscription du crime, il nous faudra des Lettres de cachet, et nous ne cesserons de les invoquer contre notre propre folie.

Que sera-ce lorsque les familles n’auront pu recourir à ces précautions funestes, et que le crime d’un particulier aura éveillé l’attention de la Police ? C’est alors que l’on verra tous ceux qui tiennent au coupable par quelque lien, se liguer pour l’arracher à la peine qui le menace. Tout ce que peut le crédit, la faveur, les richesses, l’amitié, la bienfaisance, le zèle, le courage, le désespoir, toutes les passions humaines exaltées par le plus puissant de tous les intérêts, tout est prodigué pour imposer silence à la loi ; a chaque délit qu’elle veut réprimer, elle voit se former contr’elle une nouvelle conspiration, plus ou moins redoutable, suivant le degré de crédit et de considération dont jouit la famille du criminel. Eh ! qui pourroit faire un crime à ces infortunés, de réunir toutes leurs forces pour échapper à un tel désastre ? La commisération publique se range elle-même de leur parti. Quels étranges contrastes ! l’intérêt de la Société demande la punition du coupable ; et la société elle-même est en quelque sorte contrainte à faire des vœux pour son salut. Une foule de citoyens