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délicates et profondes ; de ces expressions neuves et originales que la raison publique érige en proverbes : nommer le Méchant, c’est dire plus que tout cela, et le plus inutile de tous les soins seroit, à mon avis, de louer une production qui est déjà parvenue à la réputation de ces ouvrages immortels, que l’admiration de plusieurs siècles a consacrés.

Le Méchant mit le sceau à la gloire de Gresset ; il le plaçoit au rang des grands maîtres de l’art Dramatique, et sembloit le destiner à faire renaître les jours les plus brillans de la Scène Comique. Bien-tôt l’Académie Françoise confirma le choix du Public, en l’admettant au nombre de ses membres ; celle de Berlin crut s’honorer elle-même en l’adoptant : ses qualités aimables, jointes à sa célébrité, réunissoient pour lui tout ce que le commerce du monde a de flatteur, à tout ce que la gloire a d’éclatant ; il étoit parvenu à cet âge où l’ambition domine avec plus d’empire, et où le génie, ayant acquis toute sa force, sans avoir encore rien perdu de son ardeur et de son éclat, semble devoir enfanter ses plus heureuses productions, quand s’arrêtant tout-à-coup au milieu de sa carrière, il quitta le Théâtre où ses talons avoient triomphés tant de fois, pour aller chercher le repos dans le sein de sa patrie. Que dis-je ! On le vit dans la suite abjurer solemnellement l’art Dramatique, et condamner lui-même dans un écrit public, les succès qu’il avoit obtenus dans ce genre.

Comment traiter cet endroit de l’histoire de Gresset ? J’écris peut-être dans un tems où il n’est permis de parler de cette démarche, que pour lui faire le procès. Je crois entendre les sarcasmes qu’une foule de gens de lettres lui a prodigués ; je vois le plus célèbre d’entr’eux lui lancer des traits plus absurdes encore qu’injurieux ; je vois l’Auteur de Charlot, du Droit du Seigneur, de la Princesse de Navarre, oser contester à celui du Méchant, le mérite d’avoir fait une Comédie et tourner en ridicule une résolution dont s’applaudissoit en secret son inquiet orgueil, allarmé par des talens qui brilloient avec trop d’éclat.