fait prendre parti dans la querelle du Lutrin. Le chantre de Ververt néglige tous ces ressorts ; au lieu d’adopter la marche imposante de l’Épopée, dont la dignité, formant un contraste plaisant avec la petitesse du sujet, offre déjà par elle-même une source de beautés piquantes et faciles, il célèbre la gloire de son héros sur un ton plus simple, plus naïf, et par conséquent plus difficile. Il semble que son génie, rejettant tous appuis étrangers, cherche à multiplier les obstacles pour les vaincre, et veuille lutter avec ses seules forces contre toute la sécheresse de la matière.
Mais, avec cette unique ressource, quel Poëme ne fait-il point éclore d’un sujet qui sembloit à peine susceptible de fournir quelques plaisanteries !
Quoique l’imagination n’ait peut-être jamais rien produit de si riant que les détails de ce poëme, il est douteux, si le mérite de l’invention et de la richesse de la fiction ne sont pas encore au-dessus. Mais n’allois-je point entreprendre de développer les beautés du Ververt, comme si le discours pouvoit exprimer des grâces que sa lecture seule peut faire sentir ? Quelles paroles pourroient peindre la fraîcheur et l’éclat du coloris qui caractérise le style de cet ouvrage, cet heureux accord de la finesse avec la naïveté, de la plaisanterie la plus délicate avec toutes les richesses de la poésie ; cette imagination brillante qui, de l’idée la plus stérile et la plus triviale, sçait faire sortir mille détails aussi nobles que gracieux ; qui, à un trait ingénieux, fait succéder sans cesse un trait plus piquant encore, effacé lui-même par une saillie nouvelle qui achève d’étonner l’esprit, et de dérider le front le plus sévère ? Quel éloge pourroit valoir cette impression de plaisir et d’admiration qu’il a laissée à tous ceux qui le connoisse ? Et à qui est-il inconnu ? Il est entre les mains de tous les âges et de toutes les conditions : il fait les délices des hommes lettrés, il procure des heures agréables aux hommes les moins instruits ; ceux qui sont les plus étrangers aux autres chefs-d’œuvres de notre littérature sont familiers avec le Ververt. Il rappelle à tous les esprits des souvenirs