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à savoir que ce qui nous apprend à bien faire. Ne faites point de vos filles des théologiennes et des raisonneuses ; ne leur apprenez des choses du ciel que ce qui sert à la sagesse humaine ; accoutumez-les à se sentir toujours sous les yeux de Dieu, à l’avoir pour témoin de leurs actions, de leurs pensées, de leur vertu, de leurs plaisirs, à faire le bien sans ostentation, parce qu’il l’aime ; à souffrir le mal sans murmure, parce qu’il les en dédommagera ; à être enfin tous les jours de leur vie ce qu’elles seront bien aises d’avoir été lorsqu’elles comparaîtront devant lui. Voilà la véritable religion, voilà la seule qui n’est susceptible ni d’abus, ni d’impiété, ni de fanatisme. Qu’on en prêche tant qu’on voudra de plus sublimes ; pour moi, je n’en reconnais point d’autre que celle-là.

Au reste, il est bon d’observer que, jusqu’à l’âge où la raison s’éclaire et où le sentiment naissant fait parler la conscience, ce qui est bien ou mal pour les jeunes personnes est ce que les gens qui les entourent ont décidé tel. Ce qu’on leur commande est bien, ce qu’on leur défend est mal, elles n’en doivent pas savoir davantage : par où l’on voit de quelle importance est, encore plus pour elles que pour les garçons, le choix des personnes qui doivent les approcher et avoir quelque autorité sur elles. Enfin le moment vient où elles commencent à juger des choses par elles-mêmes, et alors il est temps de changer le plan de leur éducation.

J’en ai trop dit jusqu’ici peut-être. À quoi réduirons-nous les femmes, si nous ne leur donnons pour loi que les préjugés publics ? N’abaissons pas à ce point le sexe qui nous gouverne, et qui nous honore quand nous ne l’avons pas avili. Il existe pour toute l’espèce humaine une règle antérieure à l’opinion. C’est à l’inflexible direction de cette règle que se doivent rapporter toutes les autres : elle juge le préjugé même : et ce n’est qu’autant que l’estime des hommes s’accorde avec elle, que cette estime doit faire autorité pour nous.

Cette règle est le sentiment intérieur. Je ne répéterai point ce qui en a été dit ci-devant ; il me suffit de remarquer que si ces deux règles ne concourent à l’éducation des femmes, elle sera toujours défectueuse. Le sentiment sans l’opinion ne leur donnera point cette délicatesse d’âme qui par les bonnes mœurs de l’honneur du monde ; et l’opinion sans le sentiment n’en fera jamais que des femmes fausses et déshonnêtes, qui mettent l’apparence à la place de la vertu.

Il leur importe donc de cultiver une faculté qui serve d’arbitre entre les deux guides, qui ne laisse point égarer la conscience, et qui redresse les erreurs du préjugé. Cette faculté est la raison. Mais à ce mot que de questions s’élèvent ! Les femmes sont-elles capables d’un solide raisonnement ? importe-t-il qu’elles le cultivent ? le cultiveront-elles avec succès ? Cette culture est-elle utile aux fonctions qui leur sont imposées ? Est-elle compatible avec la simplicité qui leur convient ?

Les diverses manières d’envisager et de résoudre ces questions font que, donnant dans les excès contraires, les uns bornent la femme à coudre et filer dans son ménage avec ses servantes, et n’en font ainsi que la première servante du maître ; les autres, non contents d’assurer ses droits, lui font encore usurper les nôtres ; car la laisser au-dessus de nous dans les qualités propres à son sexe, et la rendre notre égale dans tout le reste, qu’est-ce autre chose que transporter à la femme la primauté que la nature donne au mari ?

La raison qui mène l’homme à la connaissance de ses devoirs n’est pas fort composée ; la raison qui mène la femme à la connaissance des siens est plus simple encore. L’obéissance et la fidélité qu’elle doit à son mari, la tendresse et les soins qu’elle doit à ses enfants, sont des conséquences si naturelles et si sensibles de sa condition, qu’elle ne peut, sans mauvaise foi, refuser son consentement au sentiment intérieur qui la guide, ni méconnaître le devoir dans le penchant qui n’est point encore altéré.

Je ne blâmerais pas sans distinction qu’une femme fût bornée aux seuls travaux de son sexe, et qu’on la laissât dans une profonde ignorance sur tout le reste ; mais il faudrait pour cela des mœurs publiques très simples, très saines ou une manière de vivre très retirée. Dans de grandes villes, et parmi des hommes corrompus, cette femme serait trop facile à séduire ; souvent sa vertu ne tiendrait qu’aux occasions. Dans ce siècle philosophe, il lui en faut une à l’épreuve ; il faut qu’elle sache d’avance