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AVIS DE L’ÉDITEUR (1819).



Dans l’Avertissement général mis en tête du premier volume de cette Collection, nous avons annoncé (page v) que le texte de l’Émile avoit, dans l’édition publiée chez M. Didot en 1801, subi des changemens nombreux et considérables comparativement à celui de toutes les éditions antérieures sans exception. De plus, nous avons déclaré que loin de regarder ces changemens comme une amélioration réelle, nous pensions au contraire que l’éditeur avoit beaucoup altéré ce texte depuis longtemps consacré en quelque sorte dans une édition digne de toute confiance, et dont rien ne l’autorisoit à s’écarter. Nous avons promis d’appuyer de preuves cette assertion, et c’est ce que nous allons faire le plus succinctement qu’il sera possible, sachant très bien qu’une telle discussion, quand elle ne porte que sur des détails, et lorsque d’ailleurs l’ouvrage n’est point altéré dans son essence et ses principes généraux, n’a pas un égal intérêt pour tous les lecteurs.

L’éditeur de 1801, après s’être plaint des entraves que la censure mettait au génie de l’auteur d’Émile lors des premières éditions, et de la négligence de plusieurs éditeurs qui les ont renouvelées, où l’on annonce avoir collationné avec le plus grand soin le texte de l’Émile sur deux manuscrits autographes, l’un desquels a servi à la première édition de cet ouvrage. Cependant comme cette première édition a été imprimée sous les yeux de l’auteur, le même éditeur prévient qu’il a été extrêmement réservé dans ses corrections, mais qu’il n’a pas balancé à rétablir divers passages visiblement altérés ou tout-à-fait supprimés, pour lesquels on avoit exigé les cartons qu’on remarque dans les exemplaires de cette édition, et dont l’auteur se plaint avec tant d’amertume dans ses Confessions.

Observons d’abord que l’existence de deux manuscrits autographes de l’Émile est un fait trop important dans l’histoire bibliographico-littéraire, pour n’avoir pas besoin d’être prouvé de manière à ôter tout doute sur sa réalité. Il n’y a pas un manuscrit de cette espèce dont le lieu de dépôt ne soit bien connu, et quand ce dépôt n’est pas public, une telle propriété n’est pas de celles dont on fasse communément un secret. On auroit donc su gré à l’éditeur s’il se fût expliqué positivement sur ce point. Ce qui est bien certain, c’est que jusqu’à présent il n’existe de l’Émile qu’un seul manuscrit connu ; c’est celui qui a été trouvé dans les papiers de Rousseau après sa mort, et qui, offert par sa veuve à la Convention, est maintenant déposé à la bibliothèque de la Chambre des Députés. S’il en existe quelque autre, tout assure que ce n’est pas à Paris qu’on pourroit espérer de le trouver.

Observons en second lieu, 1o  que pour l’Émile comme pour la Nouvelle Héloïse il existe deux éditions premières, l’une qui fut faite à Paris chez Duchesne et qui parut avec ce faux titre : La Haye, chez J. Néaulme, 1762 ; l’autre qui parut en même temps chez le même Néaulme à Amsterdam ; 2o  que Rousseau, pour ne pas laisser estropier et défigurer son ouvrage (Confessions, liv. xi), a corrigé les épreuves de l’édition de Paris qu’il nous apprend lui-même avoir servi de modèle à l’autre ; aussi ces deux éditions ne diffèrent-elles aucunement. 3o  Si dans le cours de l’impression il fut forcé de faire à son texte primitif quelques changemens pour satisfaire la censure, ces changemens (c’est encore Rousseau qui nous l’apprend lui-même) n’ont eu lieu que pour les deux premiers volumes, où l’on exigea, dit-il, des cartons pour des riens dire, sans que leur contenu fit aucun obstacle à la publication. Or c’est dans ces deux derniers volumes surtout que la censure eût trouvé matière à s’exercer. 4o  Enfin ces changemens commandés par la censure avoient aux yeux de l’auteur même si peu d’importance, qu’il ne s’est pas donné la peine de rétablir son texte primitif dans des éditions postérieures faites dans l’étranger et de son aveu : et en effet dans celle de Genève faite quatre ans après sa mort sur des matériaux préparés par lui-même pour cette édition depuis long-temps projetée, le texte de l’Émile ne diffère des éditions premières que dans un seul passage du troisième livre ou le texte primitif se trouve rétabli, et ce passage par lui-même est de peu d’importance.

Il n’est donc pas vrai de dire que la censure ait mis au génie de l’auteur d’Émile des entraves réelles, et il n’est pas plus vrai qu’il s’en soit plaint amèrement dans ses Confessions.

Cela posé, nous établissons les faits suivans, résultat d’une collation faite aussi avec le plus grand soin du texte de l’Émile tel qu’il existe dans l’édi-