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fiance que j’avais en moi-même, je n’ai plus de force, mon seul désir est de vivre assez pour mourir quitte avec la terre. Toi, chère femme, toi qui es ma sagesse et ma prudence, toi qui voyais clair, toi qui es irréprochable, tu peux avoir de la gaieté ; moi seul, entre nous trois, je suis coupable. Il y a dix-huit mois, au milieu de cette fatale fête, je voyais ma Constance, la seule femme que j’aie aimée, plus belle peut-être que ne l’était la jeune personne avec laquelle j’ai couru dans ce sentier il y a vingt ans, comme courent nos enfants !… En vingt mois, j’ai flétri cette beauté, mon orgueil, un orgueil permis et légitime. Je t’aime davantage en te connaissant mieux… Oh ! chère ! dit-il en donnant à ce mot une expression qui atteignit au cœur de sa femme, je voudrais bien t’entendre gronder, au lieu de te voir caresser ma douleur.

— Je ne croyais pas, dit-elle, qu’après vingt ans de ménage l’amour d’une femme pour son mari pût s’augmenter.

Ce mot fit oublier pour un moment à César tous ses malheurs, car il avait tant de cœur que ce mot était une fortune. Il s’avança donc presque joyeux vers leur arbre, qui, par hasard, n’avait pas été abattu. Les deux époux s’y assirent en regardant Anselme et Césarine qui tournaient sur la même pelouse sans s’en apercevoir, croyant peut-être aller toujours droit devant eux.

— Mademoiselle, disait Anselme, me croyez-vous assez lâche et assez avide pour avoir profité de l’acquisition de la part de votre père dans l’Huile Céphalique ? Je lui conserve avec amour sa moitié, je la lui soigne. Avec ses fonds, je fais l’escompte ; s’il y a des effets douteux, je les prends de mon côté. Nous ne pouvons être l’un à l’autre que le lendemain de la réhabilitation de votre père, et j’avance ce jour-là de toute la force que donne l’amour.

L’amant s’était bien gardé de dire ce secret à sa belle-mère. Chez les amants les plus innocents, il y a toujours le désir de paraître grands aux yeux de leurs maîtresses.

— Et sera-ce bientôt ? dit-elle.

— Bientôt, dit Popinot d’un ton si pénétrant, que la chaste et pure Césarine tendit son front au cher Anselme qui y mit un baiser avide et respectueux, tant il y avait de noblesse dans l’action de cette enfant.

— Papa, tout va bien, dit-elle à César d’un air fin. Sois gentil, cause, quitte ton air triste.

Quand cette famille si unie rentra dans la maison de Pillerault,