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dinaires. Toi-même as été témoin de la bonhomie de Roguin, à qui l’on aurait donné le bon Dieu sans confession. Je n’applique pas ces conclusions rigoureuses à monsieur Birotteau, je le crois honnête ; mais s’il te demandait de faire quoi que ce soit qui fût contraire aux lois du commerce, comme de souscrire des effets de complaisance et de te lancer dans un système de circulations, qui, selon moi, est un commencement de friponnerie, car c’est la fausse monnaie du papier, promets-moi de ne rien signer sans me consulter. Songe que si tu aimes sa fille il ne faut pas, dans l’intérêt même de ta passion, détruire ton avenir. Si monsieur Birotteau doit tomber, à quoi bon tomber vous deux ? N’est-ce pas vous priver l’un et l’autre de toutes les chances de ta maison de commerce qui sera son refuge ?

— Merci, mon oncle : à bon entendeur salut, dit Popinot, à qui la navrante exclamation de son patron fut alors expliquée.

Le marchand d’huiles fines et autres rentra dans sa sombre boutique, le front soucieux. Birotteau remarqua ce changement.

— Faites-moi l’honneur de monter dans ma chambre, nous y serons mieux qu’ici. Les commis, quoique très-occupés, pourraient nous entendre.

Birotteau suivit Popinot, en proie aux anxiétés du condamné entre la cassation de son arrêt ou le rejet de son pourvoi.

— Mon cher bienfaiteur, dit Anselme, vous ne doutez pas de mon dévouement, il est aveugle. Permettez-moi seulement de vous demander si cette somme vous sauve entièrement, si ce n’est pas seulement un retard à quelque catastrophe, et alors à quoi bon m’entraîner ? Il vous faut des billets à quatre-vingt-dix jours. Eh ! bien, dans trois mois, il me sera certes impossible de les payer.

Birotteau, pâle et solennel, se leva, regarda Popinot.

Popinot épouvanté s’écria : — Je les ferai si vous voulez.

— Ingrat ! dit le parfumeur, qui usa du reste de ses forces pour jeter ce mot au front d’Anselme comme une marque d’infamie.

Birotteau marcha vers la porte et sortit. Popinot, revenu de la sensation que ce mot terrible produisit sur lui, se jeta dans l’escalier, courut dans la rue, mais il ne trouva point le parfumeur. L’amant de Césarine entendit toujours ce formidable arrêt, il eut constamment sous les yeux la figure décomposée du pauvre César ; il vécut enfin, comme Hamlet, avec un épouvantable spectre à ses côtés.