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— Je sais tout, dit Constance d’une voix à la fois douce et peinée.

— Eh bien ! dit madame Matifat à Birotteau qui baissait humblement la tête, combien vous emporte-t-il ? s’il fallait écouter les bavardages, vous seriez ruiné.

— Il avait à moi deux cent mille francs. Quant aux quarante qu’il m’a fait imaginairement prêter par un de ses clients dont l’argent était dissipé, nous sommes en procès.

— Vous le verrez juger cette semaine, dit Popinot. J’ai pensé que vous ne m’en voudriez pas d’expliquer votre situation à monsieur le président ; il a ordonné la communication des papiers de Roguin dans la Chambre du Conseil, afin d’examiner depuis quelle époque les fonds du prêteur étaient détournés et les preuves du fait allégué par Derville, qui a plaidé lui-même pour vous éviter des frais.

— Gagnerons-nous ? dit madame Birotteau.

— Je ne sais, répondit Popinot. Quoique j’appartienne à la Chambre où l’affaire est portée, je m’abstiendrai de délibérer quand même on m’appellerait.

— Mais peut-il y avoir du doute sur un procès si simple ? dit Pillerault. L’acte ne doit-il pas faire mention de la livraison des espèces, et les notaires déclarer les avoir vu remettre par le prêteur à l’emprunteur ? Roguin irait aux galères s’il était sous la main de la justice.

— Selon moi, répondit le juge, le prêteur doit se pourvoir contre Roguin sur le prix de la charge et du cautionnement, mais en des affaires encore plus claires, quelquefois, à la Cour royale, les conseillers se trouvent six contre six.

— Comment, mademoiselle, monsieur Roguin s’est enfui ? dit Popinot entendant enfin ce qui se disait. Monsieur César ne m’en a rien dit, moi qui donnerais mon sang pour lui…

Césarine comprit que toute la famille tenait dans ce pour lui, car si l’innocente fille eût méconnu l’accent, elle ne pouvait se tromper au regard qui l’enveloppa d’une flamme pourpre.

— Je le savais bien, et je le lui disais, mais il a tout caché à ma mère et ne s’est confié qu’à moi.

— Vous lui avez parlé de moi dans cette circonstance, dit Popinot ; vous lisez dans mon cœur, mais y lisez-vous tout ?

— Peut-être.