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l’influence du comte Ferraud, porté sur les cadres de l’armée comme général, et vous obtiendrez sans doute une pension.

— Allez donc ! répondit Chabert, je me fie entièrement à vous.

— Je vous enverrai donc une procuration à signer, dit Derville. Adieu, bon courage ! S’il vous faut de l’argent, comptez sur moi.

Chabert serra chaleureusement la main de Derville, et resta le dos appuyé contre la muraille, sans avoir la force de le suivre autrement que des yeux. Comme tous les gens qui comprennent peu les affaires judiciaires, il s’effrayait de cette lutte imprévue.

Pendant cette conférence, à plusieurs reprises, il s’était avancé, hors d’un pilastre de la porte cochère, la figure d’un homme posté dans la rue pour guetter la sortie de Derville, et qui l’accosta quand il sortit. C’était un vieux homme vêtu d’une veste bleue, d’une cotte blanche plissée semblable à celle des brasseurs, et qui portait sur la tête une casquette de loutre. Sa figure était brune, creusée, ridée, mais rougie sur les pommettes par l’excès du travail et halée par le grand air.

— Excusez, monsieur, dit-il à Derville en l’arrêtant par le bras, si je prends la liberté de vous parler, mais je me suis douté, en vous voyant, que vous étiez l’ami de notre général.

— Eh ! bien ? dit Derville, en quoi vous intéressez vous à lui ? Mais qui êtes-vous ? reprit le défiant avoué.

— Je suis Louis Vergniaud, répondit-il d’abord. Et j’aurais deux mots à vous dire.

— Et c’est vous qui avez logé le comte Chabert comme il l’est ?

— Pardon, excuse, monsieur, il a la plus belle chambre. Je lui aurais donné la mienne, si je n’en avais eu qu’une. J’aurais couché dans l’écurie. Un homme qui a souffert comme lui, qui apprend à lire à mes mioches, un général, un égyptien, le premier lieutenant sous lequel j’ai servi… faudrait voir ? Du tout, il est le mieux logé. J’ai partagé avec lui ce que j’avais. Malheureusement ce n’était pas grand’chose, du pain, du lait, des œufs ; enfin à la guerre comme à la guerre ! C’est de bon cœur. Mais il nous a vexés.

— Lui ?

— Oui, monsieur, vexés, là ce qui s’appelle en plein. J’ai pris un établissement au-dessus de mes forces, il le voyait bien. Ça vous le contrariait et il pansait le cheval ! Je lui dis : — Mais, mon général ? — Bah ! qui dit, je ne veux pas être comme un fainéant, et il y a long-temps que je sais brosser le lapin. J’avais donc fait des