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brillante, s’éteignit à cinq heures du matin. Vers cette heure, des cent et quelques fiacres qui remplissaient la rue Saint-Honoré, il en restait environ quarante. À cette heure, on dansait la boulangère et les cotillons, qui plus tard furent détrônés par le galop anglais. Du Tillet, Roguin, le comte de Grandville, Jules Desmarets jouaient à la bouillotte. Du Tillet gagnait trois mille francs. Les lueurs du jour arrivèrent, firent pâlir les bougies, et les joueurs assistèrent à la dernière contredanse. Dans ces maisons bourgeoises, cette joie suprême ne s’accomplit pas sans quelques énormités. Les personnages imposants sont partis ; l’ivresse du mouvement, la chaleur communicative de l’air, les esprits cachés dans les boissons les plus innocentes ont amolli les callosités des vieilles femmes qui, par complaisance, entrent dans les quadrilles et se prêtent à la folie d’un moment ; les hommes sont échauffés, les cheveux défrisés s’allongent sur les visages, et leur donnent de grotesques expressions qui provoquent le rire ; les jeunes femmes deviennent légères, quelques fleurs sont tombées de leurs coiffures. Le Momus bourgeois apparaît suivi de ses farces ! Les rires éclatent, chacun se livre à la plaisanterie en pensant que le lendemain le travail reprendra ses droits. Matifat dansait avec un chapeau de femme sur la tête : Célestin se livrait à des charges. Quelques dames frappaient dans leurs mains avec exagération quand l’ordonnait la figure de cette interminable contredanse.

— Comme ils s’amusent ! disait l’heureux Birotteau.

— Pourvu qu’ils ne cassent rien, dit Constance à son oncle.

— Vous avez donné le plus magnifique bal que j’aie vu, et j’en ai vu beaucoup, dit du Tillet à son ancien patron en le saluant.

Dans l’œuvre des huit symphonies de Beethoven, il est une fantaisie, grande comme un poème, qui domine le final de la symphonie en ut mineur. Quand, après les lentes préparations du sublime magicien si bien compris par Habeneck, un geste du chef d’orchestre enthousiaste lève la riche toile de cette décoration, en appelant de son archet l’éblouissant motif vers lequel toutes les puissances musicales ont convergé, les poètes dont le cœur palpite alors comprendront que le bal de Birotteau produisait dans sa vie l’effet que produit sur leurs âmes ce fécond motif, auquel la symphonie en ut doit peut-être sa suprématie sur ses brillantes sœurs. Une fée radieuse s’élance en levant sa baguette. On entend le bruissement des rideaux de soie pourpre que des anges relèvent. Des portes d’or