— Encore de satanés farceurs, dit Claparon, que ces journaux. Monsieur, les journaux nous embrouillent tout : ils nous servent bien quelquefois, mais ils me font passer de cruelles nuits ; j’aimerais mieux les passer autrement ; enfin j’ai les yeux perdus à force de lire et de calculer.
— Revenons aux ministres, dit Pillerault espérant des révélations.
— Les ministres ont des exigences purement gouvernementales. Mais qu’est-ce que je mange là, de l’ambroisie ? dit Claparon en s’interrompant. Voilà de ces sauces qu’on ne mange que dans les maisons bourgeoises, jamais les gargotiers…
À ce mot, les fleurs du bonnet de madame Ragon sautèrent comme des béliers. Claparon comprit que le mot était ignoble, et voulut se rattraper.
— Dans la haute Banque, dit-il, on appelle gargotiers les chefs de cabarets élégants, Véry, les Frères Provençaux. Eh ! bien, ni ces infâmes gargotiers ni nos savants cuisiniers ne nous donnent de sauces moelleuses ; les uns font de l’eau claire acidulée par le citron, les autres font de la chimie.
Le dîner se passa tout entier en attaques de Pillerault qui cherchait à sonder cet homme et qui ne rencontrait que le vide, il le regarda comme un homme dangereux.
— Tout va bien, dit Roguin à l’oreille de Charles Claparon.
— Ah ! je me déshabillerai sans doute ce soir, répondit Claparon qui étouffait.
— Monsieur, lui dit Birotteau, si nous sommes obligés de faire de la salle à manger le salon, c’est que nous réunissons dans dix-huit jours quelques amis autant pour célébrer la délivrance du territoire…
— Bien, monsieur ; moi, je suis aussi l’homme du gouvernement. J’appartiens, par mes opinions, au statu quo du grand homme qui dirige les destinées de la maison d’Autriche, un fameux gaillard ! Conserver pour acquérir, et surtout acquérir pour conserver… Voilà le fond de mes opinions, qui ont l’honneur d’être celles du prince de Metternich.
— Que pour fêter ma promotion dans l’ordre de la Légion-d’Honneur, reprit César.
— Mais, oui, je sais. Qui donc m’a parlé de cela ? les Keller ou Nucingen ?
Roguin, surpris de tant d’aplomb, fit un geste admiratif.