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sar, il raisonnait ses étiquettes, la forme de ses bouteilles, calculait la contexture du bouchon, la couleur des affiches. Et l’on dit qu’il n’y a pas de poésie dans le commerce ! Newton ne fit pas plus de calculs pour son célèbre binôme que Birotteau n’en faisait pour l’Essence Comagène, car l’Huile redevint Essence, il allait d’une expression à l’autre sans en connaître la valeur. Toutes les combinaisons se pressaient dans sa tête, et il prenait cette activité dans le vide pour la substantielle action du talent. Dans sa préoccupation, il dépassa la rue des Bourdonnais et fut obligé de revenir sur ses pas en se rappelant son oncle.

Claude-Joseph Pillerault, autrefois marchand quincaillier à l’enseigne de la Cloche-d’Or, était une de ces physionomies belles en ce qu’elles sont : costume et mœurs, intelligence et cœur, langage et pensée, tout s’harmoniait en lui. Seul et unique parent de madame Birotteau, Pillerault avait concentré toutes ses affections sur elle et sur Césarine, après avoir perdu, dans le cours de sa carrière commerciale, sa femme et son fils, puis un enfant adoptif, le fils de sa cuisinière. Ces pertes cruelles l’avaient jeté dans un stoïcisme chrétien, belle doctrine qui animait sa vie colorait ses derniers jours d’une teinte à la fois chaude et froide comme celle qui dore les couchers du soleil en hiver. Sa tête maigre et creusée, d’un ton sévère, où l’ocre et le bistre étaient harmonieusement fondus, offrait une frappante analogie avec celle que les peintres donnent au Temps ; mais en le vulgarisant, les habitudes de la vie commerciale avaient amoindri chez lui le caractère monumental et rébarbatif exagéré par les peintres, les statuaires et les fondeurs de pendules. De taille moyenne, Pillerault était plutôt trapu que gras, la nature l’avait taillé pour le travail et la longévité, sa carrure accusait une forte charpente, car il était d’un tempérament sec, sans émotion d’épiderme ; mais non pas insensible. Pillerault, peu démonstratif, ainsi que l’indiquaient son attitude calme et sa figure arrêtée, avait une sensibilité tout intérieure, sans phrase ni emphase. Son œil, à prunelle verte mélangée de points noirs, était remarquable par une inaltérable lucidité. Son front, ridé par des lignes droites et jauni par le temps, était petit, serré, dur, couvert par des cheveux d’un gris argenté, tenus courts et comme feutrés. Sa bouche fine annonçait la prudence et non l’avarice. La vivacité de l’œil révélait une vie contenue. Enfin la probité, le sentiment du devoir, une modestie vraie lui faisaient comme une auréole en donnant à sa figure