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les yeux bleus, offrait au regard de l’artiste cette élasticité, si rare à Paris, qui fait rebondir les chairs les plus délicates, et nuance d’une couleur adorée par les peintres le bleu des veines dont le réseau palpite dans les clairs du teint. Quoique vivant dans la lymphatique atmosphère d’une boutique parisienne où l’air se renouvelle difficilement, où le soleil pénètre peu, ses mœurs lui donnaient les bénéfices de la vie en plein air d’une Transtévérine de Rome. D’abondants cheveux, plantés comme ceux de son père et relevés de manière à laisser voir un cou bien attaché, ruisselaient en boucles soignées, comme les soignent toutes les demoiselles de magasin à qui le désir d’être remarquées a inspiré les minuties les plus anglaises en fait de toilette. La beauté de Césarine n’était ni la beauté d’une lady, ni celle des duchesses françaises, mais la ronde et rousse beauté des Flamandes de Rubens. Elle avait le nez retroussé de son père, mais rendu spirituel par la finesse du modelé, semblable à celui des nez essentiellement français, si bien réussis chez Largillière. Sa peau, comme une étoffe pleine et forte, annonçait la vitalité d’une vierge. Elle avait le beau front de sa mère, mais éclairci par la sérénité d’une fille sans soucis. Ses yeux bleus, noyés dans un riche fluide, exprimaient la grâce tendre d’une blonde heureuse. Si le bonheur ôtait à sa tête cette poésie que les peintres veulent absolument donner à leurs compositions en les faisant un peu trop pensives, la vague mélancolie physique dont sont atteintes les jeunes filles qui n’ont jamais quitté l’aile maternelle lui imprimait alors une sorte d’idéal. Malgré la finesse de ses formes, elle était fortement constituée : ses pieds accusaient l’origine paysanne de son père, car elle péchait par un défaut de race et peut-être aussi par la rougeur de ses mains, signature d’une vie purement bourgeoise. Elle devait arriver tôt ou tard à l’embonpoint. En voyant venir quelques jeunes femmes élégantes, elle avait fini par attraper le sentiment de la toilette, quelques airs de tête, une manière de parler, de se mouvoir, qui jouaient la femme comme il faut et tournaient la cervelle à tous les jeunes gens, aux commis, auxquels elle paraissait très-distinguée. Popinot s’était juré de ne jamais avoir d’autre femme que Césarine. Cette blonde fluide qu’un regard semblait traverser, prête à fondre en pleurs pour un mot de reproche, pouvait seule lui rendre le sentiment de la supériorité masculine. Cette charmante fille inspirait l’amour sans laisser le temps d’examiner si elle avait assez d’esprit pour le rendre durable ; mais à