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sionomie. Aucune puissance ne l’eût fait renoncer aux cravates de mousseline blanche dont les coins brodés par sa femme ou sa fille lui pendaient sous le cou. Son gilet de piqué blanc boutonné carrément descendait très-bas sur son abdomen assez proéminent, car il avait un léger embonpoint. Il portait un pantalon bleu, des bas de soie noire et des souliers à rubans dont les nœuds se défaisaient souvent. Sa redingote vert-olive toujours trop large, et son chapeau à grands bords lui donnaient l’air d’un quaker. Quand il s’habillait pour les soirées du dimanche, il mettait une culotte de soie, des souliers à boucles d’or, et son infaillible gilet carré dont les deux bouts s’entr’ouvraient alors afin de montrer le haut de son jabot plissé. Son habit de drap marron était à grands pans et à longues basques. Il conserva, jusqu’en 1819, deux chaînes de montre qui pendaient parallèlement, mais il ne mettait la seconde que quand il s’habillait.

Tel était César Birotteau, digne homme à qui les mystères qui président à la naissance des hommes avaient refusé la faculté de juger l’ensemble de la politique et de la vie, de s’élever au-dessus du niveau social sous lequel vit la classe moyenne, qui suivait en toute chose les errements de la routine : toutes ses opinions lui avaient été communiquées, et il les appliquait sans examen. Aveugle mais bon, peu spirituel mais profondément religieux, il avait un cœur pur. Dans ce cœur brillait un seul amour, la lumière et la force de sa vie ; car son désir d’élévation, le peu de connaissances qu’il avait acquises, tout venait de son affection pour sa femme et pour sa fille.

Quant à madame César, alors âgée de trente-sept ans, elle ressemblait si parfaitement à la Vénus de Milo que tous ceux qui la connaissaient virent son portrait dans cette belle statue quand le duc de Rivière l’envoya. En quelques mois, les chagrins passèrent si promptement leurs teintes jaunes sur son éblouissante blancheur, creusèrent et noircirent si cruellement le cercle bleuâtre où jouaient ses beaux yeux verts, qu’elle eut l’air d’une vieille madone ; car elle conserva toujours, au milieu de ses ruines, une douce candeur, un regard pur quoique triste, et il fut impossible de ne pas la trouver toujours belle femme, d’un maintien sage et plein de décence. Au bal prémédité par César, elle devait jouir d’ailleurs d’un dernier éclat de beauté qui fut remarqué.

Toute existence a son apogée, une époque pendant laquelle les