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Oui, je renouvelle ta chambre, je te ménage un boudoir, et donne une jolie chambre à Césarine. La demoiselle de comptoir que tu prendras, notre premier commis et ta femme de chambre (oui, madame, vous en aurez une !) logeront au second. Au troisième, il y aura la cuisine, la cuisinière et le garçon de peine. Le quatrième sera notre magasin général de bouteilles, cristaux et porcelaines. L’atelier de nos ouvrières dans le grenier ! Les passants ne verront plus coller les étiquettes, faire des sacs, trier des flacons, boucher des fioles. Bon pour la rue Saint-Denis ; mais rue Saint-Honoré, fi donc ! mauvais genre. Notre magasin doit être cossu comme un salon. Dis donc, sommes-nous les seuls parfumeurs qui soient dans les honneurs ? N’y a-t-il pas des vinaigriers, des marchands de moutarde qui commandent la garde nationale, et qui sont très-bien vus au château ? Imitons-les, étendons notre commerce, et en même temps poussons-nous dans les hautes sociétés.

— Tiens, Birotteau, sais-tu ce que je pense en t’écoutant ? Eh bien ! tu me fais l’effet d’un homme qui cherche midi à quatorze heures. Souviens-toi de ce que je t’ai conseillé quand il a été question de te nommer maire : ta tranquillité avant tout ! « Tu es fait, t’ai-je dit, pour être en évidence, comme mon bras pour faire une aile de moulin. Les grandeurs seraient ta perte. » Tu ne m’as pas écoutée, la voilà venue notre perte. Pour jouer un rôle politique, il faut de l’argent, en avons-nous ? Comment, tu veux brûler ton enseigne qui a coûté six cents francs, et renoncer à la Reine des Roses, à ta vraie gloire ? Laisse donc les autres être des ambitieux. Qui met la main à un bûcher en retire de la flamme, est-ce vrai ? la politique brûle aujourd’hui. Nous avons cent bons mille francs, écus, placés en dehors de notre commerce, de notre fabrique et de nos marchandises ? Si tu veux augmenter la fortune, agis aujourd’hui comme en 1793 : les rentes sont à soixante-douze francs, achète des rentes. Tu auras dix mille livres de revenu, sans que ce placement nuise à nos affaires. Profite de ce revirement pour marier notre fille, vends notre fonds et allons dans ton pays. Comment, pendant quinze ans, tu n’as parlé que d’acheter les Trésorières, ce joli petit bien près de Chinon, où il y a des eaux, des prés, des bois, des vignes, deux métairies, qui rapporte mille écus, dont l’habitation nous plaît à tous deux, que nous pouvons avoir encore pour soixante mille francs, et monsieur veut aujourd’hui devenir quelque chose dans le gouvernement ? Sou-