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— Quand hier monsieur de La Billardière m’a dit cette nouvelle, reprit Birotteau embarrassé, je me suis aussi demandé, comme toi, quels étaient mes titres ; mais en revenant j’ai fini par les reconnaître et par approuver le gouvernement. D’abord, je suis royaliste, j’ai été blessé à Saint-Roch en vendémiaire, n’est-ce pas quelque chose que d’avoir porté les armes dans ce temps-là pour la bonne cause ? Puis, selon quelques négociants, je me suis acquitté de mes fonctions consulaires à la satisfaction générale. Enfin, je suis adjoint, le roi accorde quatre croix au corps municipal de la ville de Paris. Examen fait des personnes qui, parmi les adjoints, pouvaient être décorées, le préfet m’a porté le premier sur la liste. Le roi doit d’ailleurs me connaître : grâce au vieux Ragon, je lui fournis la seule poudre dont il veuille faire usage ; nous possédons seuls la recette de la poudre de la feue reine, pauvre chère auguste victime ! Le maire m’a violemment appuyé. Que veux-tu ? Si le roi me donne la croix sans que je la lui demande, il me semble que je ne peux pas la refuser sans lui manquer à tous égards. Ai-je voulu être adjoint ? Aussi, ma femme, puisque nous avons le vent en pompe, comme dit ton oncle Pillerault quand il est dans ses gaietés, suis-je décidé à mettre chez nous tout d’accord avec notre haute fortune. Si je puis être quelque chose, je me risquerai à devenir ce que le bon Dieu voudra que je sois, sous-préfet, si tel est mon destin. Ma femme, tu commets une grave erreur en croyant qu’un citoyen a payé sa dette à son pays après avoir débité pendant vingt ans des parfumeries à ceux qui venaient en chercher. Si l’État réclame le concours de nos lumières, nous les lui devons, comme nous lui devons l’impôt mobilier, les portes et fenêtres, et cætera. As-tu donc envie de toujours rester dans ton comptoir ? Il y a, Dieu merci, bien assez long-temps que tu y séjournes. Le bal sera notre fête à nous. Adieu le détail, pour toi s’entend. Je brûle notre enseigne de la Reine des Roses, j’efface sur notre tableau César Birotteau, marchand parfumeur, successeur de Ragon, et mets tout bonnement Parfumeries, en grosses lettres d’or. Je place à l’entresol le bureau, la caisse, et un joli cabinet pour toi. Je fais mon magasin de l’arrière-boutique, de la salle à manger et de la cuisine actuelles. Je loue le premier étage de la maison voisine, où j’ouvre une porte dans le mur. Je retourne l’escalier, afin d’aller de plain-pied d’une maison à l’autre. Nous aurons alors un grand appartement meublé aux oiseaux !