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nouvelle que je pouvais léguer à mes enfants ; mais notre maison n’aura rien perdu, mes fils seront des hommes distingués. Si la pairie m’a manqué, ils la conquerront noblement en se consacrant aux affaires de leur pays, et lui rendront de ces services qui ne s’oublient pas. Tout en purifiant le passé de notre maison, je lui assurais un glorieux avenir : n’est-ce pas avoir accompli une belle tâche quoique secrète et sans gloire ? Avez-vous maintenant, monsieur, quelques autres éclaircissements à me demander ?

En ce moment le bruit de plusieurs chevaux retentit dans la cour.

— Les voici, dit le marquis.

Bientôt les deux jeunes gens, de qui la mise était à la fois élégante et simple, entrèrent dans le salon, bottés, éperonnés, gantés, agitant gaiement leur cravache. Leur figure animée rapportait la fraîcheur du grand air, ils étaient étincelants de santé. Tous deux vinrent serrer la main de leur père, échangèrent avec lui, comme entre amis, un coup d’œil plein de muette tendresse, et saluèrent froidement le juge. Popinot regarda comme tout à fait inutile d’interroger le marquis sur ses relations avec ses fils.

— Vous êtes-vous bien amusés ? leur demanda le marquis.

— Oui, mon père. J’ai, pour la première fois, abattu six poupées en douze coups ! dit Camille.

— Où êtes-vous allés vous promener ?

— Au bois où nous avons vu notre mère.

— S’est-elle arrêtée ?

— Nous allions si vite en ce moment, qu’elle ne nous a sans doute pas vus, répondit le jeune comte.

— Mais alors pourquoi n’êtes-vous pas allés vous présenter ?

— J’ai cru remarquer, mon père, qu’elle n’est pas contente de se voir abordée par nous en public, dit Clément à voix basse. Nous sommes un peu trop grands.

Le juge avait l’oreille assez fine pour entendre cette phrase, qui attira quelques nuages sur le front du marquis. Popinot se plut à contempler le spectacle que lui offraient le père et les enfants. Ses yeux, empreints d’une sorte d’attendrissement, revenaient sur la figure de monsieur d’Espard, de qui les traits, la contenance et les manières lui représentaient la probité sous sa plus belle forme, la probité spirituelle et chevaleresque, la noblesse dans toute sa beauté.