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tre ses deux enfants, et riait, comme un monstre qu’il était, en voyant le cadet qui mordait l’aîné jusqu’au sang, et comment sans doute il voulait les voir se détruire.

— Demandez-moi pourquoi ! ajouta-t-elle, il ne le sait pas lui-même.

Au moment où la portière disait au juge ce mot décisif, elle l’avait amené sur le palier du troisième étage, en face d’une porte placardée d’affiches qui annonçaient les livraisons successives de l’Histoire pittoresque de la Chine. Ce palier fangeux, cette rampe sale, cette porte où l’imprimerie avait laissé ses stigmates, cette fenêtre délabrée et les plafonds où les apprentis s’étaient plu à dessiner des monstruosités avec la flamme fumeuse de leurs chandelles, les tas de papiers et d’ordures amoncelés dans les coins, à dessein ou par insouciance ; enfin tous les détails du tableau qui s’offrait aux regards s’accordaient si bien avec les faits allégués par la marquise que, malgré son impartialité, le juge ne put s’empêcher d’y croire.

— Vous y êtes, messieurs, dit la portière, voilà la manifacture où les Chinois mangent de quoi nourrir tout le quartier.

Le greffier regarda le juge en souriant, et Popinot eut quelque peine à conserver son sérieux. Tous deux entrèrent dans la première chambre, où se trouvait un vieil homme qui sans doute faisait à la fois le service d’un garçon de bureau, d’un garçon de magasin et d’un caissier. Ce vieillard était le maître Jacques de la Chine. De longues planches, sur lesquelles étaient entassées les livraisons publiées, garnissaient les murs de cette chambre. Au fond, une cloison en bois et en grillage, intérieurement ornée de rideaux verts, formait un cabinet. Une chattière destinée à recevoir ou à donner les écus indiquait le siége de la caisse.

— Monsieur d’Espard ? dit Popinot en s’adressant à cet homme vêtu d’une blouse grise.

Le garçon de magasin ouvrit la porte de la seconde chambre, où le magistrat et son greffier aperçurent un vieillard vénérable, à chevelure blanche, simplement vêtu, décoré de la croix de Saint-Louis, assis devant un bureau, et qui cessa de comparer des feuilles coloriées pour regarder les deux survenants. Cette pièce était un bureau modeste, rempli de livres et d’épreuves. Il s’y trouvait une table en bois noir, où sans doute venait travailler une personne absente en ce moment.