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garder. Le 15 un commandement avait été signifié, la portière l’avait tardivement remis à monsieur d’Espard, qui prit cet acte pour un malentendu, sans croire à de mauvais procédés de la part d’un homme chez lequel il demeurait depuis douze ans. Le marquis fut saisi par un huissier pendant que son valet de chambre allait porter l’argent du terme chez son propriétaire. Cette saisie, insidieusement racontée aux personnes avec lesquelles il était en relation pour son entreprise, en avait alarmé quelques-unes, qui doutaient déjà de la solvabilité de monsieur d’Espard, à cause des sommes énormes que lui soutiraient, disait-on, le baron Jeanrenaud et sa mère. Les soupçons des locataires, des créanciers et du propriétaire étaient d’ailleurs presque justifiés par la grande économie que le marquis apportait dans ses dépenses. Il se conduisait en homme ruiné. Ses domestiques payaient immédiatement dans le quartier les plus menus objets nécessaires à la vie, et agissaient comme des gens qui ne veulent pas de crédit ; s’ils eussent demandé quoi que ce fût sur parole, ils auraient peut-être éprouvé des refus, tant les commérages calomnieux avaient obtenu de créance dans le quartier. Il est des marchands qui aiment celles de leurs pratiques qui les payent mal, quand ils ont avec elles des rapports constants ; tandis qu’ils en haïssent d’excellentes qui se tiennent sur une ligne trop élevée pour leur permettre des accointances, mot vulgaire mais expressif. Les hommes sont ainsi. Dans presque toutes les classes, ils accordent au compérage ou à des âmes viles qui les flattent les facilités, les faveurs refusées à la supériorité qui les blesse quelle que soit la manière dont elle se révèle. Le boutiquier qui crie contre la cour a ses courtisans. Enfin les façons du marquis et celles de ses enfants devaient engendrer de mauvaises dispositions chez leurs voisins, et les porter insensiblement à un degré de malfaisance auquel les gens ne reculent plus devant une lâcheté quand elle nuit à l’adversaire qu’ils se sont créé. Monsieur d’Espard était gentilhomme, comme sa femme était une grande dame : deux types magnifiques, déjà si rares en France que l’observateur peut y compter les personnes qui en offrent une complète réalisation. Ces deux personnages reposent sur des idées primitives, sur des croyances pour ainsi dire innées, sur des habitudes prises dès l’enfance, et qui n’existent plus. Pour croire au sang pur, à une race privilégiée, pour se mettre par la pensée au-dessus des autres hommes, ne faut-il pas, dès sa naissance, avoir mesuré l’espace qui sépare les patri-