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Le chevalier s’inclina sans dire une parole.

— Monsieur d’Espard, qui a suivi cette affaire, m’a menée à l’Oratoire où cette femme va au prêche, car elle est protestante. Je l’ai vue, elle n’a rien d’attrayant, elle ressemble à une bouchère ; elle est extrêmement grasse, horriblement marquée de la petite vérole ; elle a les mains et les pieds d’un homme, elle louche, enfin c’est un monstre.

— Inconcevable ! dit le juge en paraissant le plus niais de tous les juges du royaume. Et cette créature demeure ici près, rue Verte, dans un hôtel ! Il n’y a donc plus de bourgeois !

— Un hôtel où son fils a fait des dépenses folles.

— Madame, dit le juge, j’habite le faubourg Saint-Marceau, je ne connais pas ces sortes de dépenses : qu’appelez-vous des dépenses folles ?

— Mais, dit la marquise, une écurie, cinq chevaux, trois voitures, une calèche, un coupé, un cabriolet.

— Cela coûte donc gros ? dit Popinot étonné.

— Énormément, dit Rastignac en l’interrompant. Un train pareil demande pour l’écurie, pour l’entretien des voitures et l’habillement des gens, entre quinze et seize mille francs.

— Croyez-vous, madame ? demanda le juge d’un air surpris.

— Oui, au moins, répondit la marquise.

— Et l’ameublement de l’hôtel a dû coûter encore gros ?

— Plus de cent mille francs, répondit la marquise qui ne put s’empêcher de sourire de la vulgarité du juge.

— Les juges, madame, reprit le bonhomme, sont assez incrédules, ils sont même payés pour l’être, et je le suis. Monsieur le baron Jeanrenaud et sa mère auraient, si cela est, étrangement spolié monsieur d’Espard. Voici une écurie qui, selon vous, coûterait seize mille francs par an. La table, les gages des gens, les grosses dépenses de maison devraient aller au double, ce qui exigerait cinquante ou soixante mille francs par an. Croyez-vous que ces gens, naguère si misérables, puissent avoir une si grande fortune ? Un million donne à peine quarante mille livres de rente.

— Monsieur, le fils et la mère ont placé les fonds donnés par monsieur d’Espard en rentes sur le grand-livre, quand elles étaient à 60 ou 80. Je crois que leurs revenus doivent monter à plus de soixante mille francs. Le fils a d’ailleurs de très-beaux appointements.