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d’inquisiteur par lequel il examina l’état sanitaire de la pauvre plaideuse. — Elle se porte comme un charme ! se dit-il.

— Madame, répondit-il en prenant un air respectueux, vous ne me devez rien. Quoique ma démarche ne soit pas dans les habitudes du Tribunal, nous ne devons rien épargner pour arriver à la découverte de la vérité dans ces sortes d’affaires. Nos jugements sont alors déterminés moins par le texte de la loi, que par les inspirations de notre conscience. Que je cherche la vérité dans mon cabinet ou ici, pourvu que je la trouve, tout sera bien.

Pendant que Popinot parlait, Rastignac serrait la main à Bianchon, et la marquise faisait au docteur une petite inclination de tête pleine de gracieuses faveurs.

— Quel est ce monsieur ? dit Bianchon à l’oreille de Rastignac en lui montrant l’homme noir.

— Le chevalier d’Espard, le frère du marquis.

— Monsieur votre neveu m’a dit, répondit la marquise à Popinot, combien vous aviez d’occupations, et je sais déjà que vous êtes assez bon pour vouloir cacher un bienfait, afin de dispenser vos obligés de la reconnaissance. Il paraît que ce tribunal vous fatigue extrêmement. Pourquoi ne double-t-on pas le nombre des juges ?

— Ah ! madame, ça n’est pas l’embarras, dit Popinot, ça n’en serait pas plus mal. Mais quand ça se fera, les poules auront des dents.

En entendant cette phrase, qui allait si bien à la physionomie du juge, le chevalier d’Espard le toisa d’un coup d’œil, et eut l’air de se dire : Nous en aurons facilement raison.

La marquise regarda Rastignac, qui se pencha vers elle.

— Voilà, lui dit-il, comment sont faits les gens chargés de prononcer sur les intérêts et sur la vie des particuliers.

Comme la plupart des hommes vieillis dans un métier, Popinot se laissait volontiers aller aux habitudes qu’il y avait contractées, habitudes de pensée d’ailleurs. Sa conversation sentait le juge d’Instruction. Il aimait à questionner ses interlocuteurs, à les presser entre des conséquences inattendues, à leur faire dire plus qu’ils ne voulaient en faire savoir. Pozzo di Borgo s’amusait, dit-on, à surprendre les secrets de ses interlocuteurs, à les embarrasser dans ses piéges diplomatiques : il déployait ainsi, par une invincible accoutumance, son esprit trempé de ruse. Aussitôt que Popinot eut, pour ainsi dire, toisé le terrain sur lequel il se trouvait, il ju-