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quiéter dans sa requête, étaient aussi bien que leur père inconnus du monde comme le passage nord-est est inconnu des marins. Monsieur d’Espard passait pour un original qui avait abandonné sa femme sans avoir contre elle le plus petit sujet de plainte. Maîtresse d’elle-même à vingt-deux ans, et maîtresse de sa fortune, qui consistait en vingt-six mille livres de rente, la marquise hésita longtemps avant de prendre un parti, et de décider son existence. Quoiqu’elle profitât des dépenses que son mari avait faites dans son hôtel, qu’elle gardât les ameublements, les équipages, les chevaux, enfin toute une maison montée, elle mena d’abord une vie retirée pendant les années 16, 17 et 18, époque à laquelle les familles se remettaient des désastres occasionnés par les tourmentes politiques. Appartenant d’ailleurs à l’une des maisons les plus considérables et les plus illustres du faubourg Saint-Germain, ses parents lui conseillèrent de vivre en famille, après la séparation forcée à laquelle la condamnait l’inexplicable caprice de son mari. En 1820, la marquise sortit de sa léthargie, parut à la cour, dans les fêtes et reçut chez elle. De 1821 à 1827, elle tint un grand état de maison, se fit remarquer par son goût et par sa toilette ; elle eut son jour, ses heures de réception ; puis elle s’assit bientôt sur le trône où précédemment avaient brillé madame la vicomtesse de Beauséant, la duchesse de Langeais, madame Firmiani, laquelle, après son mariage avec monsieur de Camps, avait résigné le sceptre aux mains de la duchesse de Maufrigneuse, à qui madame d’Espard l’arracha. Le monde ne savait rien de plus sur la vie intime de la marquise d’Espard. Elle paraissait devoir demeurer long-temps à l’horizon parisien, comme un soleil près de se coucher, mais qui ne se coucherait jamais. La marquise s’était étroitement liée avec une duchesse non moins célèbre par sa beauté que par son dévouement à la personne d’un prince alors en disgrâce, mais habitué à toujours entrer en dominateur dans les gouvernements à venir. Madame d’Espard était également l’amie d’une étrangère près de laquelle un illustre et rusé diplomate russe analysait les affaires publiques. Enfin une vieille comtesse accoutumée à battre les cartes du grand jeu politique l’avait maternellement adoptée. Pour tout homme à haute vue, madame d’Espard se préparait ainsi à faire succéder une sourde, mais réelle influence, au règne public et frivole qu’elle devait à la mode. Son salon prenait une consistance politique. Ces mots : Qu’en dit-on chez madame d’Espard ? Le salon de