les pieds ni chez l’Archichancelier ni chez le Grand-Juge. De la Cour, il fut exporté sur les listes du Tribunal, puis repoussé jusqu’au dernier échelon par les intrigues des gens actifs et remuants. Il fut nommé Juge-suppléant. Un cri général s’éleva dans le Palais : — Popinot Juge-suppléant ! Cette injustice frappa le monde judiciaire, les avocats, les huissiers, tout le monde, excepté Popinot, qui ne se plaignit point. La première clameur passée, chacun trouva que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, qui certes doit être le monde judiciaire. Popinot fut Juge-suppléant jusqu’au jour où le plus célèbre Garde des Sceaux de la Restauration vengea les passe-droits faits à cet homme modeste et silencieux par les Grands-Juges de l’Empire. Après avoir été Juge-suppléant pendant douze années, monsieur Popinot devait sans doute mourir simple Juge au Tribunal de la Seine.
Pour expliquer l’obscure destinée d’un des hommes supérieurs de l’ordre judiciaire, il est nécessaire d’entrer ici dans quelques considérations qui serviront à dévoiler sa vie, son caractère, et qui montreront d’ailleurs quelques-uns des rouages de cette grande machine nommée la Justice. Monsieur Popinot fut classé par les trois Présidents qu’eut successivement le Tribunal de la Seine, dans une catégorie de jugerie, seul mot qui puisse rendre l’idée à exprimer. Il n’obtint pas dans cette compagnie la réputation de capacité que ses travaux lui avaient méritée par avance. De même qu’un peintre est invariablement enfermé dans la catégorie des paysagistes, des portraitistes, des peintres d’histoire, de marine ou de genre par le public des artistes, des connaisseurs ou des niais qui par envie, qui par omnipotence critique, qui par préjugé, le barricadent dans son intelligence en croyant tous qu’il existe des calus dans toutes les cervelles, étroitesse de jugement que le monde applique aux écrivains, aux hommes d’État, à tous les gens qui commencent par une spécialité avant d’être proclamés universels ; de même, Popinot eut sa destination et fut cerclé dans son genre. Les magistrats, les avocats, les avoués, tout ce qui pâture sur le terrain judiciaire, distingue deux éléments dans une cause : le Droit et l’Équité. L’équité résulte des faits, le droit est l’application des principes aux faits. Un homme peut avoir raison en équité, tort en justice, sans que le juge soit accusable. Entre la conscience et le fait, il est un abîme de raisons déterminantes qui sont inconnues au juge, et qui condamnent ou légitiment un fait. Un juge n’est