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attitude gracieuse et modeste ; mais elle se tut, comme si une pensée terrible lui eût révélé quelque malheur. Quand il fallut revenir à Rome, elle monta dans une berline à quatre places, en ordonnant au sculpteur, d’un air impérieusement cruel, d’y retourner seul avec le phaéton. Pendant le chemin, Sarrasine résolut d’enlever la Zambinella. Il passa toute la journée occupé à former des plans plus extravagants les uns que les autres. À la nuit tombante, au moment où il sortit pour aller demander à quelques personnes où était situé le palais habité par sa maîtresse, il rencontra l’un de ses camarades sur le seuil de la porte. — Mon cher, lui dit ce dernier, je suis chargé par notre ambassadeur de t’inviter à venir ce soir chez lui. Il donne un concert magnifique, et quand tu sauras que Zambinella y sera… — Zambinella ! s’écria Sarrasine en délire à ce nom, j’en suis fou ! — Tu es comme tout le monde, lui répondit son camarade. — Mais si vous êtes mes amis, toi, Vien, Lauterbourg et Allegrain, vous me prêterez votre assistance pour un coup de main après la fête, demanda Sarrasine. — Il n’y a pas de cardinal à tuer, pas de… — Non, non, dit Sarrasine, je ne vous demande rien que d’honnêtes gens ne puissent faire. En peu de temps le sculpteur disposa tout pour le succès de son entreprise. Il arriva l’un des derniers chez l’ambassadeur, mais il y vint dans une voiture de voyage attelée de chevaux vigoureux menés par l’un des plus entreprenants vetturini de Rome. Le palais de l’ambassadeur étant plein de monde, ce ne fut pas sans peine que le sculpteur, inconnu à tous les assistants, parvint au salon où dans ce moment Zambinella chantait. — C’est sans doute par égard pour les cardinaux, les évêques et les abbés qui sont ici, demanda Sarrasine, qu’elle est habillée en homme, qu’elle a une bourse derrière la tête, les cheveux crêpés et une épée au côté ? — Elle ! Qui elle ? répondit le vieux seigneur auquel s’adressait Sarrasine. — La Zambinella. — La Zambinella ? reprit le prince romain. Vous moquez-vous ? D’où venez-vous ? Est-il jamais monté de femmes sur les théâtres de Rome ? Et ne savez-vous pas par quelles créatures les rôles de femme sont remplis dans les États du pape ? C’est moi, monsieur, qui ai doté Zambinella de sa voix. J’ai tout payé à ce drôle-là, même son maître à chanter. Eh ! bien, il a si peu de reconnaissance du service que je lui ai rendu, qu’il n’a jamais voulu remettre les pieds chez moi. Et cependant, s’il fait fortune, il me la devra tout entière. Le prince Chigi aurait pu parler, certes, long-temps, Sarra-