marqué, de loin en loin, au milieu des fêtes, des concerts, des bals, des raouts donnés par la comtesse, l’apparition d’un personnage étrange. C’était un homme. La première fois qu’il se montra dans l’hôtel, ce fut pendant un concert, où il semblait avoir été attiré vers le salon par la voix enchanteresse de Marianina.
— Depuis un moment, j’ai froid, dit à sa voisine une dame placée près de la porte.
L’inconnu, qui se trouvait près de cette femme, s’en alla.
— Voilà qui est singulier ! j’ai chaud, dit cette femme après le départ de l’étranger. Et vous me taxerez peut-être de folie, mais je ne saurais m’empêcher de penser que mon voisin, ce monsieur vêtu de noir qui vient de partir, causait ce froid.
Bientôt l’exagération naturelle aux gens de la haute société fit naître et accumuler les idées les plus plaisantes, les expressions les plus bizarres, les contes les plus ridicules sur ce personnage mystérieux. Sans être précisément un vampire, une goule, un homme artificiel, une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes. Il se rencontrait çà et là des Allemands qui prenaient pour des réalités ces railleries ingénieuses de la médisance parisienne. L’étranger était simplement un vieillard. Plusieurs de ces jeunes hommes, habitués à décider, tous les matins, l’avenir de l’Europe, dans quelques phrases élégantes, voulaient voir en l’inconnu quelque grand criminel, possesseur d’immenses richesses. Des romanciers racontaient la vie de ce vieillard, et vous donnaient des détails véritablement curieux sur les atrocités commises par lui pendant le temps qu’il était au service du prince de Mysore. Des banquiers, gens plus positifs, établissaient une fable spécieuse :
— Bah ! disaient-ils en haussant leurs larges épaules par un mouvement de pitié, ce petit vieux est une tête génoise !
— Monsieur, si ce n’est pas une indiscrétion, pourriez-vous avoir la bonté de m’expliquer ce que vous entendez par une tête génoise ?
— Monsieur, c’est un homme sur la vie duquel reposent d’énormes capitaux, et de sa bonne santé dépendent sans doute les revenus de cette famille.
Je me souviens d’avoir entendu chez madame d’Espard un magnétiseur prouvant, par des considérations historiques très-spécieuses,