Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Eh ! oui, mon indépendance en cœur, cette allumette de Desroches me fait toujours perdre.

— Consolez-vous, Agathe, dit la Descoings, Joseph sera un grand homme.

Après cette discussion, qui ressemble à toutes les discussions humaines, les amis de la veuve se réunirent au même avis, et cet avis ne mettait pas de terme à ses perplexités. On lui conseilla de laisser Joseph suivre sa vocation.

— Si ce n’est pas un homme de génie, lui dit du Bruel qui courtisait Agathe, vous pourrez toujours le mettre dans l’administration.

Sur le haut de l’escalier, la Descoings, en reconduisant les trois vieux employés, les nomma des sages de la Grèce.

— Elle se tourmente trop, dit du Bruel.

— Elle est trop heureuse que son fils veuille faire quelque chose, dit encore Claparon.

— Si Dieu nous conserve l’Empereur, dit Desroches, Joseph sera protégé d’ailleurs ! Ainsi de quoi s’inquiète-t-elle ?

— Elle a peur de tout, quand il s’agit de ses enfants, répondit la Descoings. — Eh ! bien, bonne petite, reprit-elle en rentrant, vous voyez, ils sont unanimes, pourquoi pleurez-vous encore ?

— Ah ! s’il s’agissait de Philippe, je n’aurais aucune crainte. Vous ne savez pas ce qui se passe dans ces ateliers ! Les artistes y ont des femmes nues.

— Mais ils y font du feu, j’espère, dit la Descoings.

Quelques jours après, les malheurs de la déroute de Moscou éclatèrent. Napoléon revint pour organiser de nouvelles forces et demander de nouveaux sacrifices à la France. La pauvre mère fut alors livrée à bien d’autres inquiétudes. Philippe, à qui le lycée déplaisait, voulut absolument servir l’empereur. Une revue aux Tuileries, la dernière qu’y fit Napoléon et à laquelle Philippe assista, l’avait fanatisé. Dans ce temps-là, la splendeur militaire, l’aspect des uniformes, l’autorité des épaulettes exerçaient d’irrésistibles séductions sur certains jeunes gens. Philippe se crut pour le service les dispositions que son frère manifestait pour les arts. À l’insu de sa mère, il écrivit à l’Empereur une pétition ainsi conçue :

« Sire, je suis fils de votre Bridau, j’ai dix-huit ans, cinq pieds six pouces, de bonnes jambes, une bonne constitution, et le désir