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il me semble devoir être plutôt peintre que sculpteur. Jour de Dieu ! si j’avais un fils semblable, je serais aussi heureux que l’Empereur l’est de s’être donné le roi de Rome ! Enfin, vous êtes maîtresse du sort de votre enfant. Allez, madame ! faites-en un imbécile, un homme qui ne fera que marcher en marchant, un misérable gratte papier : vous aurez commis un meurtre. J’espère bien que, malgré vos efforts, il sera toujours artiste. La vocation est plus forte que tous les obstacles par lesquels on s’oppose à ses effets ! La vocation, le mot veut dire l’appel, eh ! c’est l’élection par Dieu ! Seulement vous rendrez votre enfant malheureux ! Il jeta dans un baquet avec violence la glaise dont il n’avait plus besoin, et dit alors à son modèle : — Assez pour aujourd’hui.

Agathe leva les yeux et vit une femme nue assise sur une escabelle dans un coin de l’atelier, où son regard ne s’était pas encore porté ; et ce spectacle la fit sortir avec horreur.

— Vous ne recevrez plus ici le petit Bridau, vous autres, dit Chaudet à ses élèves. Cela contrarie madame sa mère.

— Hue ! crièrent les élèves quand Agathe ferma la porte.

— Et Joseph allait là ! se dit la pauvre mère effrayée de ce qu’elle avait vu et entendu.

Dès que les élèves en sculpture et en peinture apprirent que madame Bridau ne voulait pas que son fils devînt un artiste, tout leur bonheur fut d’attirer Joseph chez eux. Malgré la promesse que sa mère tira de lui de ne plus aller à l’Institut, l’enfant se glissa souvent dans l’atelier que Regnauld y avait, et on l’y encouragea à barbouiller des toiles. Quand la veuve voulut se plaindre, les élèves de Chaudet lui dirent que monsieur Regnauld n’était pas Chaudet ; elle ne leur avait pas d’ailleurs donné monsieur son fils à garder, et mille autres plaisanteries. Ces atroces rapins composèrent et chantèrent une chanson sur madame Bridau, en cent trente-sept couplets.

Le soir de cette triste journée, Agathe refusa de jouer, et resta dans la bergère en proie à une si profonde tristesse que parfois elle eut des larmes dans ses beaux yeux.

— Qu’avez-vous, madame Bridau ? lui dit le vieux Claparon.

— Elle croit que son fils mendiera son pain parce qu’il a la bosse de la peinture, dit la Descoings ; mais moi je n’ai pas le plus léger souci pour l’avenir de mon beau-fils, le petit Bixiou, qui, lui aussi, a la fureur de dessiner. Les hommes sont faits pour percer.