Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’amour-propre, ce sentiment indicible qui nous suivra, dit-on, jusqu’auprès de Dieu, puisqu’il y a des grades parmi les saints. Mais la convoitise de l’appartement alors habité par l’abbé Birotteau, ce sentiment minime aux yeux des gens du monde, avait été pour lui toute une passion, passion pleine d’obstacles, et, comme les plus criminelles passions, pleine d’espérances, de plaisirs et de remords.

La distribution intérieure et la contenance de sa maison n’avaient pas permis à mademoiselle Gamard d’avoir plus de deux pensionnaires logés. Or, environ douze ans avant le jour où Birotteau devint le pensionnaire de cette fille, elle s’était chargée d’entretenir en joie et en santé monsieur l’abbé Troubert et monsieur l’abbé Chapeloud. L’abbé Troubert vivait. L’abbé Chapeloud était mort, et Birotteau lui avait immédiatement succédé.

Feu monsieur l’abbé Chapeloud, en son vivant chanoine de Saint-Gatien, avait été l’ami intime de l’abbé Birotteau. Toutes les fois que le vicaire était entré chez le chanoine, il en avait admiré constamment l’appartement, les meubles et la bibliothèque. De cette admiration naquit un jour l’envie de posséder ces belles choses. Il avait été impossible à l’abbé Birotteau d’étouffer ce désir, qui souvent le fit horriblement souffrir quand il venait à penser que la mort de son meilleur ami pouvait seule satisfaire cette cupidité cachée, mais qui allait toujours croissant. L’abbé Chapeloud et son ami Birotteau n’étaient pas riches. Tous deux fils de paysans, ils n’avaient rien autre chose que les faibles émoluments accordés aux prêtres ; et leurs minces économies furent employées à passer les temps malheureux de la Révolution. Quand Napoléon rétablit le culte catholique, l’abbé Chapeloud fut nommé chanoine de Saint-Gatien, et Birotteau devint vicaire de la Cathédrale. Chapeloud se mit alors en pension chez mademoiselle Gamard. Lorsque Birotteau vint visiter le chanoine dans sa nouvelle demeure, il trouva l’appartement parfaitement bien distribué ; mais il n’y vit rien autre chose. Le début de cette concupiscence mobilière fut semblable à celui d’une passion vraie, qui, chez un jeune homme, commence quelquefois par une froide admiration pour la femme que plus tard il aimera toujours.

Cet appartement, desservi par un escalier en pierre, se trouvait dans un corps de logis à l’exposition du midi. L’abbé Troubert occupait le rez-de-chaussée, et mademoiselle Gamard le premier étage