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attachée à celle d’une immense patrie ; bientôt, sa famille sera, dit-on, le monde entier. Ce cosmopolitisme moral, espoir de la Rome chrétienne, ne serait-il pas une sublime erreur ? Il est si naturel de croire à la réalisation d’une noble chimère, à la fraternité des hommes. Mais, hélas ! la machine humaine n’a pas de si divines proportions. Les âmes assez vastes pour épouser une sentimentalité réservée aux grands hommes ne seront jamais celles ni des simples citoyens, ni des pères de famille. Certains physiologistes pensent que lorsque le cerveau s’agrandit ainsi, le cœur doit se resserrer. Erreur ! L’égoïsme apparent des hommes qui portent une science, une nation, ou des lois dans leur sein, n’est-il pas la plus noble des passions, et en quelque sorte, la maternité des masses : pour enfanter des peuples neufs ou pour produire des idées nouvelles, ne doivent-ils pas unir dans leurs puissantes têtes les mamelles de la femme à la force de Dieu ? L’histoire des Innocent III, des Pierre-le-Grand, et de tous les meneurs de siècle ou de nation prouverait au besoin, dans un ordre très-élevé, cette immense pensée que Troubert représentait au fond du cloître Saint-Gatien.

Saint-Firmin, avril 1832.