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En effet, le grand vicaire éprouvait en ce moment la sensation délicieuse contre laquelle Mirabeau ne savait pas se défendre, quand, aux jours de sa puissance, il voyait ouvrir devant sa voiture la porte cochère d’un hôtel autrefois fermé pour lui.

— Madame, répondit-il, j’ai de trop grandes occupations pour aller dans le monde ; mais pour vous, que ne ferait-on pas ? (La vieille fille va crever, j’entamerai les Listomère, et les servirai s’ils me servent ! pensait-il. Il vaut mieux les avoir pour amis que pour ennemis.)

Madame de Listomère retourna chez elle, espérant que l’archevêque consommerait une œuvre de paix si heureusement commencée. Mais Birotteau ne devait pas même profiter de son désistement. Madame de Listomère apprit le lendemain la mort de mademoiselle Gamard. Le testament de la vieille fille ouvert, personne ne fut surpris en apprenant qu’elle avait fait l’abbé Troubert son légataire universel. Sa fortune fut estimée à cent mille écus. Le vicaire-général envoya deux billets d’invitation pour le service et le convoi de son amie chez madame de Listomère : l’un pour elle, l’autre pour son neveu.

— Il faut y aller, dit-elle.

— Ça ne veut pas dire autre chose, s’écria monsieur de Bourbonne. C’est une épreuve par laquelle monseigneur Troubert veut vous juger. Baron, allez jusqu’au cimetière, ajouta-t-il en se tournant vers le lieutenant de vaisseau qui, pour son malheur, n’avait pas quitté Tours.

Le service eut lieu, et fut d’une grande magnificence ecclésiastique. Une seule personne y pleura. Ce fut Birotteau, qui, seul dans une chapelle écartée, et sans être vu, se crut coupable de cette mort, et pria sincèrement pour l’âme de la défunte, en déplorant avec amertume de n’avoir pas obtenu d’elle le pardon de ses torts.

L’abbé Troubert accompagna le corps de son amie jusqu’à la fosse où elle devait être enterrée. Arrivé sur le bord, il prononça un discours où, grâce à son talent, le tableau de la vie étroite menée par la testatrice prit des proportions monumentales. Les assistants remarquèrent ces paroles dans la péroraison :

« Cette vie pleine de jours acquis à Dieu et à sa religion, cette vie que décorent tant de belles actions faites dans le silence, tant de vertus modestes et ignorées, fut brisée par une douleur que nous appellerions imméritée, si, au bord de l’éternité, nous pou-