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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

d’emprunter au plus pauvre de ses amis, à Bixiou, à qui jamais il n’avait rien demandé, cent francs !

Ce qui peinait le plus Lousteau, ce n’était pas de devoir cinq mille francs, mais de se voir dépouillé de son élégance, de son mobilier acquis par tant de privations, enrichi par madame de La Baudraye. Or, le 3 avril, une affiche jaune arrachée par le portier après avoir fleuri le mur, avait indiqué la vente d’un beau mobilier pour le samedi suivant, jour des ventes par autorité de justice.

Lousteau se promena, fumant des cigares et cherchant des idées ; car les idées, à Paris, sont dans l’air, elles vous sourient au coin d’une rue, elles s’élancent sous une roue de cabriolet avec un jet de boue ! Le flâneur avait déjà cherché des idées d’articles et des sujets de nouvelles pendant tout un mois ; mais il n’avait rencontré que des amis qui l’entraînaient à dîner, au théâtre, et qui grisaient son chagrin, en lui disant que le vin de Champagne l’inspirerait.

— Prends garde, lui dit un soir l’atroce Bixiou qui pouvait tout à la fois donner cent francs à un camarade et le percer au cœur avec un mot. En t’endormant toujours soûl, tu te réveilleras fou.

La veille, le vendredi, le malheureux, malgré son habitude de la misère, était affecté comme un condamné à mort. Jadis, il se serait dit : — Bah ! mon mobilier est vieux, je le renouvellerai. Mais il se sentait incapable de recommencer des tours de force littéraires. La librairie dévorée par la contrefaçon payait peu. Les journaux lésinaient avec les talents éreintés, comme les directeurs de théâtre avec les ténors qui baissent d’une note. Et d’aller devant lui, l’œil sur la foule sans y rien voir, le cigare à la bouche et les mains dans ses goussets, la figure crispée en dedans, un faux sourire sur les lèvres. Il vit alors passer madame de La Baudraye en voiture, elle prenait le boulevard par la rue de la Chaussée-d’Antin pour se rendre au Bois.

Il rentra chez lui s’y adoniser. Le soir, à sept heures, il vint en citadine à la porte de madame de La Baudraye et pria le concierge de faire parvenir à la comtesse un mot ainsi conçu :

« Madame la comtesse veut-elle faire à monsieur Lousteau la grâce de le recevoir un instant, et à l’instant. »

Ce mot était cacheté d’un cachet qui, jadis, servait aux deux amants. Madame de La Baudraye avait fait graver sur une véritable