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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

madame la comtesse de La Baudraye quêteuse pour l’œuvre de bienfaisance fondée par madame de Carcado. Enfin elle fut désignée à la cour pour recueillir les dons en faveur des victimes du tremblement de terre de la Guadeloupe.

La marquise d’Espard, à qui monsieur de Canalis lisait les noms de ces dames à l’opéra, dit en entendant celui de la comtesse : — Je suis depuis bien long-temps dans le monde, je ne me rappelle pas quelque chose de plus beau que les manœuvres faites pour le sauvetage de l’honneur de madame de La Baudraye.

Pendant les jours de printemps, qu’un caprice de notre planète fit luire sur Paris dès la première semaine du mois de mars et qui permit de voir les Champs-Élysées feuillés et verts à Longchamp, plusieurs fois déjà, l’amant de Fanny-Beaupré, dans ses promenades avait aperçu madame de La Baudraye sans être vu d’elle. Il fut alors plus d’une fois mordu au cœur par un de ces mouvements de jalousie et d’envie assez familiers aux gens nés et élevés en province, quand il revoyait son ancienne maîtresse, bien posée au fond d’une jolie voiture, bien mise, un air rêveur, et ses deux enfants à chaque portière. Il s’apostrophait d’autant plus en lui-même qu’il se trouvait aux prises avec la plus aiguë de toutes les misères, une misère cachée. Il était, comme toutes les natures essentiellement vaniteuses et légères, sujet à ce singulier point d’honneur qui consiste à ne pas déchoir aux yeux de son public, qui fait commettre des crimes légaux aux hommes de Bourse pour ne pas être chassés du temple de l’agiotage, qui donne à certains criminels le courage de faire des actes de vertu. Lousteau dînait et déjeunait, fumait comme s’il était riche. Il n’eût pas, pour une succession, manqué d’acheter les cigares les plus chers, pour lui, comme pour le dramaturge ou le prosateur avec lesquels il entrait dans un Débit. Le journaliste se promenait en bottes vernies ; mais il craignait des saisies qui, selon l’expression des huissiers, avaient reçu tous les sacrements. Fanny-Beaupré ne possédait plus rien d’engageable, et ses appointements étaient frappés d’oppositions ! Après avoir épuisé le chiffre possible des avances aux Revues, aux journaux et chez les libraires, Étienne ne savait plus de quelle encre faire or. Les jeux, si maladroitement supprimés, ne pouvaient plus acquitter, comme jadis, les lettres de change tirées sur leurs tapis verts par les Misères au désespoir. Enfin, le journaliste était arrivé à un tel désespoir, qu’il venait