Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/512

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
502
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Voilà les toisons du Berry, dit-il en montrant à monsieur Nucingen les cloches surmontées de sa nouvelle couronne, elles sont d’argent !

Quoique dévorée d’une profonde mélancolie contenue avec la puissance d’une femme devenue vraiment supérieure, Dinah fut charmante, spirituelle, et surtout parut rajeunie dans son deuil de cour.

— L’on dirait, s’écria le petit La Baudraye en montrant sa femme à monsieur de Nucingen, que la comtesse a moins de trente ans !

— Ah ! matame aid eine fame te drende ansse ? reprit le baron qui se servait des plaisanteries consacrées en y voyant une sorte de monnaie pour la conversation.

— Dans toute la force du terme, répondit la comtesse, car j’en ai trente-cinq, et j’espère bien avoir une petite passion au cœur…

— Oui, ma femme m’a ruiné en potiches, en chinoiseries…

— Madame a eu ce goût-là de bonne heure, dit le marquis de Montriveau en souriant.

— Oui, reprit le petit La Baudraye en regardant froidement le marquis de Montriveau qu’il avait connu à Bourges, vous savez qu’elle a ramassé en 25, 26 et 27 pour plus d’un million de curiosités qui font d’Anzy un musée…

— Quel aplomb ! pensa monsieur de Clagny en trouvant ce petit avare de province à la hauteur de sa nouvelle position.

Les avares ont des économies de tout genre à dépenser. Le lendemain du vote de la loi de régence par la Chambre, le petit pair de France alla faire ses vendanges à Sancerre et reprit ses habitudes. Pendant l’hiver de 1842 à 1843, la comtesse de La Baudraye, aidée par l’Avocat-Général à la Cour de Cassation, essaya de se faire une société. Naturellement elle prit un jour, elle distingua parmi les célébrités, elle ne voulut voir que des gens sérieux et d’un âge mûr. Elle essaya de se distraire en allant aux Italiens et à l’opéra. Deux fois par semaine, elle y menait sa mère et madame de Clagny, que le magistrat força de voir madame de La Baudraye. Mais, malgré son esprit, ses façons aimables, malgré ses airs de femme à la mode, elle n’était heureuse que par ses enfants sur lesquels elle reporta toutes ses tendresses trompées. L’admirable monsieur de Clagny recrutait des femmes pour la société de la comtesse, et il y parvenait ! Mais il réussissait beaucoup plus auprès des femmes pieuses qu’auprès des femmes du monde.

— Elles l’ennuient ! se disait-il avec terreur en contemplant son