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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

dame Piédefer eut donc peu de chose à faire pour détacher la taie aux yeux de sa fille. Elle envoya chercher l’Avocat-Général. Monsieur de Clagny acheva l’œuvre en affirmant à madame de La Baudraye que, si elle renonçait à vivre avec Étienne, son mari lui laisserait ses enfants, lui permettrait d’habiter Paris et lui rendrait la disposition de ses propres.

— Quelle existence ! dit-il. En usant de précautions, avec l’aide de personnes pieuses et charitables, vous pourriez avoir un salon et reconquérir une position. Paris n’est pas Sancerre !

Dinah s’en remit à monsieur de Clagny du soin de négocier une réconciliation avec le petit vieillard. Monsieur de La Baudraye avait bien vendu ses vins, il avait vendu des laines, il avait abattu des réserves, et il était venu, sans rien dire à sa femme, à Paris y placer deux cent mille francs en achetant, rue de l’Arcade, un charmant hôtel provenant de la liquidation d’une grande fortune aristocratique compromise. Membre du Conseil-Général de son département depuis 1826 et payant dix mille francs de contributions, il se trouvait doublement dans les conditions exigées par la nouvelle loi sur la pairie. Quelque temps avant l’élection générale de 1842, il déclara sa candidature au cas où il ne serait pas fait pair de France. Il demandait également à être revêtu du titre de comte et promu commandeur de la Légion-d’Honneur. En matière d’élections, tout ce qui pouvait consolider les nominations dynastiques était juste ; or, dans le cas où monsieur de La Baudraye serait acquis au gouvernement, Sancerre devenait plus que jamais le bourg pourri de la Doctrine. Monsieur de Clagny, dont les talents et la modestie étaient de plus en plus appréciés, appuya monsieur de La Baudraye ; il montra dans l’élévation de ce courageux agronome des garanties à donner aux intérêts matériels. Monsieur de La Baudraye, une fois nommé comte, pair de France et commandeur de la Légion-d’Honneur, eut la vanité de se faire représenter par une femme et par une maison bien tenue, il voulait, dit-il, jouir de la vie. Il pria sa femme, par une lettre que dicta l’Avocat-Général, d’habiter son hôtel, de le meubler, d’y déployer ce goût dont tant de preuves le charmaient, dit-il, dans son château d’Anzy. Le nouveau comte fit observer à sa femme que l’éducation de leurs fils exigeait qu’elle restât à Paris, tandis que leurs intérêts territoriaux l’obligeaient à ne pas quitter Sancerre. Le complaisant mari chargeait donc monsieur de Clagny de remettre à madame la com-